une sottise, laissera tomber son couteau ou renversera la salière, sa mère lui dira pour la gronder : — Voilà ce que Vanessa n’a jamais fait! » Singulière façon d’admirer Vanessa et de lui prouver qu’on l’admire! Il l’appelle nymphe, et la traite en écolière! a Gadénus pouvait louer, estimer, approuver, mais ne comprenait pas ce que c’était qu’aimer. » Rien de plus vrai, et Stella l’a senti comme les autres. Les vers que chaque année il compose pour sa naissance sont des censures et des éloges de pédagogue; s’il lui donne des bons points, c’est avec des restrictions. Un jour il lui inflige un petit sermon sur le manque de patience; une autre fois, en manière de compliment, il lui décoche Cet avertissement délicat: « Stella, ce jour de naissance est ton trente-quatrième. — Nous ne disputerons pas pour une année ou un peu plus. — Pourtant, Stella, ne te tourmente pas, quoique ta taille et tes années soient doubles de ce qu’elles étaient lorsqu’à seize ans je te vis pour la première fois la plus brillante vierge de la pelouse. Ce peu qu’a perdu ta beauté est largement compensé par ton esprit. » Et il insiste avec un goût exquis : « Oh ! s’il plaisait aux dieux de couper en deux ta beauté, ta taille, tes années et ton esprit, aucun siècle ne pourrait fournir un couple de nymphes si gracieuses, si sages et si belles! » Décidément cet homme est un charpentier, fort de bras, terrible à l’ouvrage et dans la mêlée, mais borné, et maniant une femme comme si elle était une poutre. Les rimes et le rhythme ne sont que des machines officielles, qui lui ont servi pour presser et lancer sa pensée; il n’y a mis que de la prose : la poésie était trop fine pour être saisie par ces rudes mains.
Mais dans les sujets prosaïques quelle vérité et quelle force ! Comme cette mâle nudité rabaisse l’élégance cherchée et la poésie artificielle d’Addison et de Pope! Jamais d’épithètes; il laisse sa pensée telle qu’elle est, l’estimant pour elle-même et pour elle seule, n’ayant besoin ni d’ornemens, ni de préparation, ni d’allongemens; élevé au-dessus des procédés de métier, des conventions d’école, de la vanité de rimailleur, des difficultés de l’art, maître de son sujet et de lui-même. Cette simplicité et ce naturel étonnent en des vers. Ici comme ailleurs son originalité est entière et son génie créateur; il dépasse son siècle classique et timide; il s’asservit la forme, il la brise, il y ose tout dire, il ne lui épargne aucune crudité. Reconnaissez la grandeur dans cette invention et dans cette audace; celui-là seul est un homme supérieur, qui trouve tout et ne copie rien. Quel comique poignant dans la Grande question débattue! Il s’agit de peindre l’entrée d’un capitaine dans un château, ses airs, son insolence, sa sottise, et l’admiration que lui méritent son insolence et sa sottise! La dame le sert le premier, les servantes mettent leur nez à la fente de la porte pour voir son habit brodé.