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nemi. La terre détrempée cédait sous eux, mais à travers ces marécages qu’on avait crus inaccessibles, ils chassèrent les rebelles de village en village. L’artillerie anglaise en même temps frappait à coups redoublés le centre de l’armée ennemie, dont la déroute commença bientôt.

Le bruit de la canonnade arrivait cependant jusqu’à la résidence, où il éveillait mille espérances, mille inquiétudes. Dans l’après-midi, vers cinq heures, ce bruit sembla se rapprocher. On avait vu toute la journée des mouvemens de troupes fort inusités dans les rues de la ville. Sur ces bataillons, qui le matin se dirigeaient vers la droite, le soir au contraire vers la gauche de la résidence, le général Inglis faisait tirer ses obusiers. Le lendemain soir vint sans qu’on eût d’autres nouvelles, et la pluie tombait toujours à flots. La nuit fut tranquille. À huit heures et demie, on entendit de nouveau dans le lointain le bruit de l’artillerie. Le jour entier se passa dans des anxiétés inexprimables. Sur les huit heures, les assiégés eurent à repousser une fausse attaque dirigée contre la batterie de Cawnpore. On tirait d’ailleurs sur la résidence exactement comme à l’ordinaire. Pendant la nuit, on entendit encore le canon, et l’éclair même de chaque décharge se distinguait dans les ténèbres à travers une distance que les officiers d’artillerie évaluaient à sept milles environ.

La journée du 24 avait été employée par Havelock et sir James Outram à rassembler les bagages et les munitions, que l’on voulait laisser dans l’Alumbagh, sous bonne garde, avant de pénétrer à Lucknow. Le 25, ils abordèrent enfin l’épreuve décisive, et, si braves qu’on les suppose, il est permis de penser que ce ne fut pas sans quelque secrète anxiété. L’avant-veille, en rase campagne, ils avaient éprouvé bon nombre de pertes : que serait-ce une fois dans la ville, où peu à peu s’étaient concentrées toutes les forces de la révolte ? Le cipaye, timide quand on l’aborde baïonnette baissée, tient bon derrière un abri quelconque, et on savait que des barricades, des tranchées profondes, des murs crénelés et percés de meurtrières étaient préparés dans toutes les directions, en vue de l’attaque imminente. Entre l’Alumbagh et la ville s’étend un jungle épais dont les herbes avaient à ce moment six ou sept pieds de haut, et que coupent çà et là des bouquets de bois. À peine hors de leur camp, les soldats de la première brigade, sous les ordres de sir James Outram, se virent assaillis par les tirailleurs cipayes, cachés de tous côtés dans ces fourrés si favorablement disposés. La route était aussi balayée par la mitraille de quelques pièces de campagne mises en position la veille : il fallut les enlever. Un peu plus loin, masquée par un pli du chemin, était une autre batterie, placée de manière à