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un arbre, dormait en paix, lorsqu’un serpent de l’espèce nommée cobra de capello s’avança en rampant auprès de lui. En tout pays, les reptiles ont l’instinct de la haine que leur a vouée la race humaine. La cobra, subitement avertie par la respiration du berger, se dresse avec colère, enfle son cou, et montre ses crochets armés d’un venin mortel; mais tout à coup elle s’arrête : immobile et toujours dressée devant le visage du jeune pâtre, qu’elle semble contempler avec respect, elle projette sur le front de celui-ci l’ombre de sa tête aplatie et surmontée d’une crête. Ce fait étrange avait eu pour témoin un vieux brahmane, qui crut y voir un prodige. L’ombre de cette crête se dessinant sur le front du pâtre Molhar fut interprétée par lui comme le présage d’un diadème qui devait ceindre ce même front prédestiné. Il en parla dans ce sens à l’oncle du jeune berger, Naraïn, qui résolut de lancer son neveu dans la carrière des armes.

Les circonstances d’ailleurs étaient favorables à l’esprit d’entreprise. L’empire des Mahrattes s’agrandissait toujours; ce peuple, longtemps inconnu, allait avoir son histoire. La guerre lui avait révélé sa puissance; elle était l’état normal et comme la vie de cette confédération mahratte qui devait tenir la campagne pendant plus d’un siècle, menaçant tour à tour les Mogols, les Portugais, les Anglais et les Français, changeant d’alliés selon les circonstances, se ruant à travers les pays pour piller, et vendant la paix à qui consentait à payer le tribut. La tyrannie d’Aurang-Zeb avait d’abord porté les Mahrattes à la révolte; une fois en armes, ils sentirent croître leur audace. Enhardis par l’affaiblissement de l’empire mogol, on les vit sortir de leurs montagnes et former de grands corps de cavalerie sous les ordres de chefs de clans et parfois aussi d’aventuriers ambitieux qui agissaient pour leur propre compte, sans cesser de tenir à la confédération par les liens d’un intérêt commun. Venus les derniers à l’époque où l’empire des Indes tombait en dissolution, les Mahrattes se répandirent au sud et au nord dans toute la presqu’île, et du cap Comorin jusqu’à Agra, avec l’élan irrésistible d’une race encore jeune qui ne rencontre devant elle que des populations usées et vieillies. Prélever des tributs sur les provinces vaincues, tel était le but principal de leurs invasions. Ils ne recherchaient ni la pompe, ni l’éclat du pouvoir suprême; après s’être jetés, comme une troupe de sauterelles, sur un petit royaume gouverné par un prince hindou ou musulman, ils se retiraient et couraient en attaquer un autre, satisfaits d’avoir soumis à leur autorité et à l’humiliation du tribut le souverain trop faible pour leur résister. D’ailleurs la difficulté qu’ils éprouvaient à faire rentrer les contributions imposées par la victoire ne leur permettaient guère de déposer les armes.