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personnelle du cardinal, et je n’en sais guère de plus glorieuse dans les carrières les plus illustres. Ce traité eut en effet cet avantage inestimable de servir, avec les intérêts particuliers de la France, les intérêts permanens des nombreuses populations dont il fixa le sort. Annexer la Lorraine au grand royaume dont elle échancrait la frontière, c’était donner enfin raison à la géographie contre la politique; faire passer cette province sous l’administration paternelle de Stanislas, c’était réparer d’un seul coup ses longs malheurs. Constituer à Naples une grande monarchie, c’était préparer l’indépendance de l’Italie dans la seule forme sous laquelle elle soit possible; transporter à Florence la maison de Lorraine, c’était donner à la Toscane des princes dignes de s’inspirer de son génie; garantir la pragmatique de Charles VI, c’était faire une œuvre sensée, dont l’abandon allait bientôt coûter cher à la France.

Tout cela sortit comme de soi-même d’une guerre que Fleury n’avait point voulue, mais qu’il sut terminer par l’un des traités les plus utiles aux hommes dont l’histoire ait gardé le souvenir. Ce fut la plus éclatante et la dernière faveur de sa destinée. Si au lendemain de la réunion de la Lorraine et de la fondation du royaume de Naples la mort avait frappé le ministre octogénaire auquel remontait l’honneur de ce double service à la dynastie et à la France, on aurait certainement appliqué au cardinal de Fleury le mot échappé à Villars lorsqu’il apprit qu’un boulet venait de terminer dans la tranchée la carrière du maréchal de Berwick : Cet homme a toujours été heureux! Mais, âgé déjà de plus de quatre-vingt-deux ans lors de la signature du traité de Vienne, le cardinal allait vivre cinq années encore, et quoiqu’il ne perdît durant ce dernier lustre ni la plénitude de sa puissance, ni même celle de son esprit et de sa santé, il souffrit toutes les angoisses infligées aux ambitieux par des rivaux en possession du plus incontestable des avantages, celui de la jeunesse sur la caducité. Chose singulière et pourtant constatée : Fleury, qui préféra si longtemps l’influence au pouvoir et ne prit le ministère que sous le coup de circonstances impérieuses, parut se cramponner à la vie dans la seule intention de le conserver. La coterie de M. de Chauvelin, qui croyait pouvoir compter pour ce dernier sur une succession prochaine, accueillait relativement à la santé du premier ministre tous les bruits conformes à ses espérances, de telle sorte que, pour déconcerter ses ennemis, qui le déclaraient moribond, il fallait qu’un prince de l’église chargé d’années simulât la gaieté, et qu’il allât presque jusqu’à jouer à la jeunesse! Néanmoins tant d’efforts n’empêchèrent point que de 1740 à 1743 Paris n’attendît tous les matins l’annonce de cette mort que tout le monde avait fini par souhaiter à force de l’avoir prédite.

Ce gouvernement, qui n’avait jamais manqué de dignité lors