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en mesure de prolonger sa résistance en Italie du moment où l’Angleterre et la Hollande persistaient à garder une neutralité que le cabinet impérial n’avait jamais estimée possible. L’art avec lequel Fleury parvint à désintéresser dans ce vaste conflit les deux puissances maritimes, sous la seule condition de respecter les Pays-Bas autrichiens[1], est peut-être ce qui fait le plus d’honneur au cardinal dans le cours de son long ministère. Triompher de l’empire en présence de l’Angleterre immobile, quoique frémissante, faire garantir par la Grande-Bretagne une paix dont les conditions impliquaient des avantages territoriaux considérables pour la France et pour la maison de Bourbon, c’est là une œuvre dont l’accomplissement était à coup sûr contraire à toutes les traditions, pour ne pas dire à toutes les vraisemblances.

L’attitude de l’Angleterre avait laissé l’empereur sans espérance. Il comprenait fort bien d’ailleurs l’impossibilité de reconquérir Naples et la Sicile, où l’antipathie des peuples contre la race allemande était invincible. Aussi désirait-il sincèrement la paix, et se montrait-il résolu à n’en guère disputer les conditions, si l’on consentait à donner de nouveaux gages à cette succession féminine, devenue l’objet exclusif de ses sollicitudes. L’obstacle à la paix se rencontrait moins chez l’ennemi que chez les alliés eux-mêmes. D’une part, l’Espagne, enivrée de ses succès, aurait voulu revendiquer la totalité des anciens domaines d’Italie qu’elle possédait sous la dynastie autrichienne; elle élevait des objections contre l’attribution au roi de Sardaigne du duché de Milan, promis à ce prince par le traité de 1733, contestant, non sans motifs, la loyauté de son rôle au sein d’une alliance dans laquelle Charles-Emmanuel avait peut-être trop porté l’égoïsme traditionnel de sa maison. D’un autre côté, la France, sur laquelle était retombé presque tout le poids de la guerre, ne voulait pas d’une paix qui ne lui aurait rien rapporté. N’aspirant à conserver aucune position en Italie, le gouvernement de Louis XV dut nécessairement s’arrêter à la pensée de compléter le territoire français par la réunion de la Lorraine, que la France occupait depuis deux ans, et qui l’avait gênée durant tant de siècles. Un tel projet venait si naturellement à l’esprit, qu’il faut l’outrecuidance habituelle au duc de Saint-Simon pour en revendiquer l’initiative personnelle, et pour oser affirmer qu’il en suggéra le premier l’idée au cardinal de Fleury.

Quoi qu’il en soit, les offres de médiation surabondaient de la part de tous les cabinets neutres, et le ministère britannique surtout, si intéressé par sa position parlementaire au prompt rétablissement de la paix, épuisait toutes les combinaisons afin de rappro-

  1. Convention de neutralité signée à La Haye le 24 novembre 1733.