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diplomatiques de son siècle; Ramsay, l’auteur des Voyages de Cyrus, protégé par le souvenir de Fénelon; enfin le marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères après la mort du cardinal, qui se fit dans sa retraite l’historien de cet entre-sol, auquel le reportaient les plus chers souvenirs de son esprit et de son cœur[1]. M. d’Argenson nous a conservé les titres et l’exposé des principaux travaux lus dans ces conférences pendant qu’il en était membre. Ces études, toujours étrangères aux affaires du temps, suffisaient pour constater combien cette réunion d’honnêtes gens était inoffensive, et de quel profond respect elle était pénétrée pour la religion et pour le pouvoir. En voyant de tels hommes devenus suspects au cardinal et conduits à se séparer spontanément pour n’en pas recevoir l’ordre formel, on comprend trop bien que leur tort unique fut de prétendre penser à quelque chose sous un ministre qui croyait satisfaire à tous ses devoirs en réduisant les impôts et en gouvernant la France comme il aurait gouverné sa propre famille. Cet oubli du rôle immortel de la pensée était professé à la veille de sa plus redoutable explosion, et c’est lorsque l’incrédulité allait sortir tout armée des frivolités de la cour et des plus vaines spéculations de l’esprit que l’on commettait la faute de traiter en ennemis les hommes dont le patriotique souci avait été de susciter dans une nation ardente et légère le goût viril et moral des études et des affaires!

Si le cardinal de Fleury frappa une société dont le seul tort à ses yeux était d’agiter quelque peu la tiède atmosphère où s’écoulaient ses dernières années, il se montra toujours plein d’égards et de bienveillance pour ses principaux membres. Les gens d’esprit lui inspiraient à la fois du goût et de l’inquiétude. Sans leur reconnaître assez d’importance pour les corrompre à la manière de Mazarin, il se ménageait leur approbation par les procédés les plus délicats. D’habitudes tellement simples que sa vie à Versailles ne différait guère de celle qu’il menait dans sa modeste retraite d’Issy, Fleury, sous la pourpre et sous ses cheveux blancs, était demeuré le plus accessible des ministres et le plus charmant des hommes du monde.

« Abord facile, audiences accordées sans délai, prolongées sans chagrin et sans ennui, liberté d’exposer ses droits, d’expliquer ses vues, ses projets, d’insister, de contredire même et de se plaindre... la timide modestie était aussitôt rassurée. S’il restait quelque crainte, on n’appréhendait que l’erreur; on avait cherché le ministre, on trouvait le citoyen simple, aisé dans ses manières. On demeurait flottant, incertain, au contraste inouï du crédit sans faste, de l’élévation sans hauteur, de l’autorité sans rebut, sans cet air

  1. Histoire des Conférences de l’entre-sol tenues chez M. L’abbé Alary, de 1724 à 1731, mémoires du marquis d’Argenson, tome Ier, p. 87.