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de n’avoir pour système que de s’abstenir. Ce qui assura le succès de cette politique négative, c’est qu’il vint dans un moment où les aventuriers avaient dégoûté la nation des aventures, et qu’après Law et les frères Pâris elle était saisie de ce besoin du repos qui, s’il est en France plus rare qu’ailleurs, y est aussi parfois plus irrésistible. Ce qui rendit son ministère durable, c’est qu’il absorbait en lui-même toute la force de la royauté, la seule qui subsistât dans l’abaissement général des situations et des âmes; le reste fut l’œuvre d’une fortune qu’aucun homme peut-être n’a rencontrée si longtemps favorable. Enfin, si cette administration, où tout, même les fautes, fut accompli avec convenance, revêt aujourd’hui dans l’histoire un éclat incontestable, c’est qu’elle est encadrée entre le gouvernement de Mme de Prie et celui de Mme de Pompadour, et qu’elle représente la dernière période où l’ancienne société française ait conservé le droit de s’estimer elle-même.

Introduit à la cour par la protection du cardinal Bonzi, archevêque d’Alby, comme l’un des aumôniers ordinaires du roi, l’abbé de Fleury, fils d’un receveur des tailles de Lodève, paraît avoir rencontré de sérieuses difficultés pour se concilier la bienveillance de Louis XIV. Doué d’une belle figure et d’une grande élégance de manières, il fit servir ces avantages à l’avancement de sa fortune, sans donner prise à la médisance, comme on peut l’inférer de la réserve gardée sur ses mœurs par l’homme qui s’est fait le détracteur forcené de son ministère après en avoir été, de son propre aveu, le conseiller le plus assidu. «D’une modestie et d’une circonspection qui rassuraient, nous dit Saint-Simon, il eut l’entregent d’être d’abord souffert, puis admis dans les meilleures compagnies de la cour, étant partout sans conséquence, suppléant souvent aux sonnettes avant qu’on en eût l’invention. » Fleury attendit assez longtemps l’épiscopat, malgré le zèle ardent de ses protecteurs et peut-être à cause de ce zèle même. L’on triompha pourtant des résistances royales, et l’abbé le plus à la mode de la cour dut aller durant de longues années cacher sa vie dans un village de la Provence. D’actives correspondances, de fréquentes visites aux nombreux châteaux de la France méridionale, adoucirent pour l’évêque de Fréjus les ennuis d’une résidence durant laquelle il se montra prélat plus régulier qu’édifiant, sa nature élégante et tempérée le rendant le type accompli de cet épiscopat de Louis XIV, où la sainteté était aussi rare que le scandale, et dont les membres mettaient à peu près sur la même ligne leurs devoirs d’hommes du monde et leurs devoirs de pasteurs.

La parfaite tenue de l’abbé de Fleury dans son évêché, l’art avec lequel il sut y cultiver de précieuses relations, lui concilièrent enfin