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on fut plus heureux : le 28 au soir, une lettre du général Havelock, datée de Cawnpore le 24[1], pénétra dans la place, grâce à l’adresse d’Ungud le pensionné indigène qu’on a déjà vu remplir avec succès une mission de ce genre. Elle annonçait que les secours ne pouvaient pas arriver avant vingt-cinq jours. Ungud complétant la dépêche, nécessairement très laconique, raconta la retraite forcée d’Havelock après qu’il avait déjà quitté Cawnpore et franchi le Gange pour marcher sur Lucknow ; il annonça aussi que, dans la première de ces deux villes, des renforts arrivaient journellement. Excellentes nouvelles sans doute, mais espérances bien atermoyées : telles qu’elles étaient, on s’en contenta. Les cipayes eux-mêmes, tout en grommelant, se montrèrent un peu moins abattus. Ils venaient, au surplus, de donner un gage expressif de leur bonne volonté en refusant un mois de paie qui leur était dû et qu’on voulait leur compter. Aucun d’eux, il est vrai, ne manquait d’argent, une assez forte prime étant attachée au travail de mines qu’eux seuls pouvaient faire par certaines journées de chaleur accablante.

Vingt-cinq jours ! il fallait tenir vingt-cinq jours encore, alors que déjà on semblait arrivé à la dernière limite des forces physiques et de l’énergie morale ! L’ennemi, lui, ne se lassait pas. Ses tranchées se multipliaient dans tous les sens, lacis incompréhensible, labyrinthe mystérieux et menaçant. Chaque jour, à des heures différentes, la canonnade, la mousqueterie, reprenaient de plus belle. Baba log brûlait sa poudre sans marchander, et quand il y mettait de l’économie, la garnison s’inquiétait. On avait remarqué en effet que les journées relativement tranquilles présageaient pour le lendemain quelque explosion de mines ou quelque attaque. Ces jours-là

  1. Dans une des notes qui précèdent, nous avons suivi Havelock jusqu’au début de sa seconde marche sur Lucknow, le 4 août. Le 5, à Busserut-Gunge, sur le même champ de bataille où il avait triomphé une première fois, il fut contraint d’enlever les mêmes positions, réoccupées après sa retraite par les insurgés. Faute de cavalerie, cette victoire nouvelle resta sans résultats ; elle avait été livrée sur un terrain couvert de marécages, d’où s’exhalaient des miasmes pestilentiels. Le choléra se remit à sévir dès le soir même avec une intensité qui ne permettait pas de se risquer plus avant. Il fallut revenir à Munghowur, position élevée et salubre. Le 11 août, apprenant que les rebelles étaient rassemblés près d’Unao en force considérable, on alla leur livrer bataille et enlever un village où ils s’étaient fortement retranchés, au nombre d’environ vingt mille. Havelock n’avait guère plus de mille hommes ; il en perdit près de cent quarante dans cette victoire désastreuse. Aussi dut-il, ajournant décidément son entreprise, revenir le 12 à Munghowur, retraverser le Gange dans la journée du 13, et aller ensuite à Cawnpore rejoindre Neill, mis dans un grand péril par un retour hostile de Nana-Sahib. La cavalerie du nana était déjà dans les faubourgs de la ville, et les communications avec Allahabad pouvaient être coupées d’un moment à l’autre. Havelock chassa Nana-Sahib jusqu’à Bithoor, puis s’en revint à Cawnpore, pour n’en sortir de nouveau que le 19 septembre.