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aura ce bras dans ses pattes, de ton autre main tu lui fendras le ventre avec cet épieu ; mais je t’expliquerai en route ce qu’il faut faire. Te voilà prêt, partons.

— Eh bien ! s’écrièrent les officiers qui attendaient Christian dans le vestibule, aurons-nous bonne chance ?

— Quant à moi, dit Christian, il paraît que je suis invulnérable ; mais quant à l’ours, je crains qu’il n’ait aussi bonne chance que moi. La voyante a dit qu’il s’enfuirait du côté de l’est.

— Non, non, répliqua le danneman, dont l’air grave et confiant imposait silence à toute plaisanterie ; il a été dit que le dévorant se précipiterait du côté de l’est, mais non pas qu’il ne serait pas tué. Marchons !

Avant de suivre Christian à la chasse, nous retournerons pour quelques instans au château de Waldemora, d’où le baron était parti avec tous les hommes valides de sa société, et deux ou trois cents traqueurs, aussitôt après le lever du soleil.

Le point vers lequel se dirigeait cette battue seigneuriale était beaucoup moins éloigné et beaucoup moins élevé sur la montagne que la chaumière du danneman. Les dames purent donc s’y rendre, les unes résolues à voir d’aussi près que possible la chasse de l’ours, les autres, moins braves, se promettant bien de ne pas s’aventurer plus loin que la lisière des bois. Parmi les premières était Olga, jalouse de montrer au baron qu’elle s’intéressait à ses prouesses ; parmi les dernières étaient Marguerite, qui se souciait peu des prouesses du baron, et Mlle Martina Akerstrom, fille du ministre de la paroisse et fiancée du lieutenant Osburn : excellente personne, un peu trop haute en couleur, mais agréable, affectueuse et sincère, avec qui Marguerite s’était liée de préférence à toute autre. Disons en passant que le ministre Mickelson, dont il a été question dans l’histoire de la baronne Hilda, était mort depuis longtemps, témérairement brouillé, assurait-on, avec le baron Olaüs. Son successeur était un homme très-respectable, et, bien que sa cure fût à la nomination du châtelain, ainsi qu’il était de droit pour certains fiefs, il montrait beaucoup de dignité et d’indépendance dans ses relations avec l’homme de neige. Peut-être le baron avait-il compris qu’il valait mieux rester en bons termes avec un homme de bien que d’avoir à ménager les mauvaises passions d’un ami dangereux. Il lui témoignait des égards, et le pasteur plaidait souvent auprès de lui la cause du faible et du pauvre, sans l’irriter par sa franchise.

On se porta en général assez mollement à la chasse du baron. Personne ne pensait qu’on dût rencontrer des ours dans une région aussi voisine du château, surtout après plusieurs jours de bruit et