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der Christian. En même temps il répéta à ce dernier : « N’aie pas peur ! » et il ajouta : « C’est ma sœur, dont tu as pu entendre parler, une voyante fameuse, une vala des anciens temps !

La vieille femme, dont le sommeil avait résisté au bruit du repas et des conversations, parut chercher à rassembler ses idées. Sa figure livide était calme et douce. Elle étendit la main, et le danneman y mit celle de Christian ; mais elle retira la sienne aussitôt avec une sorte d’effroi, en disant en langue suédoise : — Ah ! qu’est-ce donc, mon Dieu ! C’est vous, monsieur le baron ? Pardonnez-moi de ne pas me lever. J’ai eu tant de fatigue dans ma pauvre vie !

— Vous vous trompez, ma bonne dame, répondit Christian, vous ne me connaissez pas ; je ne suis pas baron.

Le danneman parla à sa sœur dans le même sens probablement, car elle reprit en suédois : — Je sais bien que vous me trompez ; c’est là le grand iarl ! Que vient-il faire chez nous ? Ne veut-il pas laisser dormir celle qui a tant veillé ?

— Ne fais pas attention à ce qu’elle dit, repartit le danneman en s’adressant à Christian ; son esprit est endormi, et elle continue son rêve. Tout à l’heure elle va parler sagement. — Et il ajouta, pour sa sœur : — Allons, Karine, regarde ce jeune homme et dis-lui s’il faut qu’il vienne avec moi chasser le malin.

Le paysan dalécarlien appelle ainsi l’ours, dont il ne prononce le nom qu’avec répugnance. Karine se cacha les yeux, et parla avec vivacité à son frère.

— Parlez suédois, puisque vous savez le suédois, lui dit Christian, qui désirait comprendre les pratiques de la voyante. Je vous prie, ma bonne mère, expliquez-moi ce que je dois faire.

La voyante ferma les yeux avec une sorte d’acharnement, et dit : — Tu n’es pas celui dont je rêvais, ou tu as oublié la langue de ton berceau. Laissez-moi tous les deux, toi et ton ombre ; je ne parlerai pas, j’ai juré de ne jamais dire ce que je sais.

— Aie patience, dit le danneman à Christian. Avec elle, c’est toujours ainsi au commencement. Prie-la doucement, et elle te dira ta destinée.

Christian renouvela sa prière, et la voyante répondit enfin en cachant toujours ses yeux dans ses mains pâles, et en prenant un style poétique qui semblait appris par cœur :

« Le dévorant hurle sur la bruyère, ses liens se brisent ; il se précipite ! Il se précipite vers l’est, à travers les vallées pleines de poisons, de tourbe et de fange. »

— Est-ce à dire qu’il nous échappera ? dit le danneman, qui écoutait religieusement sa sœur.

« Je vois, reprit celle-ci, je vois marcher, dans des torrens