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— Une sœur du danneman, une vieille fille idiote ou folle, que l’on dit avoir été belle autrefois, et sur laquelle ont couru toutes sortes d’histoires bizarres. On prétend que le baron Olaüs l’a rendue mère, et que la baronne son épouse (celle qu’il porte en bague) a fait enlever et périr l’enfant par jalousie rétrospective. Ce serait là la cause de l’égarement d’esprit de cette pauvre fille. Pourtant je ne vous garantis rien de tout cela, et je m’intéresse peu à une créature qui a pu se laisser vaincre par les charmes de l’homme de neige. Elle est quelquefois fort ennuyeuse avec ses chansons et ses sentences ; d’autres fois elle est invisible ou muette. Puissions-nous la trouver dans un de ces jours-là ! Nous voici arrivés. Entrez vite vous chauffer pendant que le caporal et le lieutenant déballeront nos vivres.

Le danneman Joë Bœtsoï était sur le seuil de sa porte. C’était un bel homme d’environ quarante-cinq ans, aux traits durs contrastant avec un regard doux et clair. Il était vêtu fort proprement et s’avança sans grande hâte, le bonnet sur la tête, l’air digne et la main ouverte. — Sois le bienvenu ! dit-il au major (le paysan dalécarlien tutoie tout le monde, même le roi) ; tes amis sont les miens. — Et il tendit aussi la main à Christian, à Osburn et au caporal. — Je vous attendais, et malgré cela vous ne devez pas compter trouver chez moi beaucoup de richesse et de provisions. Tu sais, major Larrson, que le pays est pauvre ; mais tout ce que j’ai est à toi et à tes amis.

— Ne dérange rien dans ta maison, danneman Bœtsoï, répondit le major. Si j’étais venu seul, je t’aurais demandé ton gruau et ta bière ; mais, ayant amené trois de mes amis, je me suis approvisionné d’avance pour ne te point causer d’embarras.

Il y eut entre l’officier et le paysan un débat en dalécarlien que Christian ne comprit pas, et que le lieutenant lui expliqua pendant que l’on ouvrait les paniers. — Nous avons, comme de juste, lui dit-il, apporté de quoi faire un déjeuner passable dans cette chaumière ; mais, tout en s’excusant de n’avoir rien de bon à nous offrir, le brave paysan s’est mis en frais, et il est aisé de voir, à sa figure allongée, que notre prévoyance le blesse et lui fait l’effet d’un doute sur son hospitalité.

— En ce cas, dit Christian, ne chagrinons pas ce brave homme ; gardons nos vivres, et mangeons ce qu’il a préparé pour nous. Sa maison paraît propre, et voilà ses filles, laides, mais fort élégantes, qui servent déjà la table.

— Faisons un arrangement, reprit le lieutenant, mettons tout en commun et invitons la famille à accepter nos mets, en même temps que nous accepterons les siens ; je vais proposer cela au danneman