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avec avantage et agrément, en acceptant quelque emploi dans les plaisirs de la cour ? Vous n’avez qu’à vouloir, et vous vous ferez vite des amis puissans, qui obtiendront aisément pour vous la direction de quelque spectacle ou de quelque musée. Si vous voulez,… ma famille est noble et a des relations…

— Non, non, major, merci ! Cela eût été bon hier matin ; je n’étais encore qu’un enfant qui cherchait son chemin en faisant l’école buissonnière ; j’eusse peut-être accepté. Le bal m’avait ramené à d’anciens erremens, à d’anciennes séductions mondaines que j’ai trop subies. Aujourd’hui je suis un homme qui voit où il doit aller. Je ne sais quel rayon a pénétré dans mon âme avec ce soleil matinal…

Christian tomba dans la rêverie. Il cherchait en lui-même quel enchaînement d’idées l’avait amené à des résolutions si énergiques et si simples ; mais il avait beau chercher et attribuer le tout à l’influence d’un bon sommeil et d’une belle matinée : toujours sa mémoire le ramenait à l’image de Marguerite cachant sa figure dans ses mains au nom de Christian Waldo. Ce cri étouffé, parti du cœur de la femme, était allé frapper la fière poitrine de Christian Goffredi. Il était resté dans son oreille, il avait rempli son âme d’une honte généreuse, d’un courage subit et inflexible. — Eh ! pourquoi, je vous le demande, répondit-il au major, qui lui rappelait les fatigues et les ennuis du travail matériel, pourquoi faut-il que je m’amuse, que je me repose et que je préserve mon existence de tout accident ? Ma naissance ne m’ayant pas fait une place privilégiée, à qui m’en prendrai-je, si je n’ai pas le courage et le bon sens de m’en faire une honorable ? À ceux qui m’ont donné la vie ? S’ils étaient là, ils pourraient me répondre que, m’ayant fait robuste et sain, ce n’était pas à l’intention de me rendre douillet et paresseux, et que, si j’ai absolument besoin de marcher sur des tapis et de manger des friandises pour entretenir mes forces et ma belle humeur, il leur était complètement impossible de prévoir ce cas bizarre et ridicule.

— Vous riez, Christian, dit le major, et pourtant la vie sans le superflu ne vaut pas la peine qu’on vive. Le but de l’homme n’est-il pas de se bâtir un nid avec tout le soin et la prévoyance dont l’oiseau lui donne l’exemple ?

— Oui, major, c’est là le but, pour vous dont l’avenir se rattache à un passé ; mais moi, dont le passé n’a rien édifié, quand je me suis fait fabulateur, comme dit M. Goefle, savez-vous ce qui m’a décidé ? C’est à mon insu, mais très assurément, la crainte de ce que l’on appelle la misère. Or cette crainte, chez un homme isolé, c’est une lâcheté, et il n’y a pas moyen de la traduire autrement que par cette plainte dont vous allez voir l’effet burlesque dans la bouche