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la théorie philosophique que nous supposons ne saurait rien légitimer; pour elle, les mots de tyrannie et de liberté ne désignent que des faits indifférens en principe. Ne connaissant que des intérêts déterminés par des besoins et des volontés déterminées par des passions, elle n’a rien à la lettre de sacré. Et que peut-elle dire aux puissans de la terre pour leur persuader de sacrifier leurs intérêts et leurs passions?

Voilà, dans le domaine de la spéculation, le faible de cette philosophie. Comment se fait-il donc qu’en France, et partout comme en France, elle ait d’ordinaire accompagné ou même inspiré les efforts du libéralisme? Par quelle louable inconséquence l’adversaire des notions nécessaires et des principes invariables a-t-il été presque en tout lieu l’avocat d’une politique qui n’est justifiée que si elle a pour elle l’absolue vérité? C’est que le libéralisme ne peut triompher que par l’abandon des vieilles doctrines d’autorité, qui ont trop pesé sur l’espèce humaine. C’est que l’esprit de réforme est l’antagoniste naturel de ces doctrines, et qu’il a inauguré contre elle l’indépendance de la raison. Or la philosophie du XVIIIe siècle n’a été que l’expression hyperbolique de l’individualisme raisonneur secouant toutes les conventions traditionnelles, toutes les maximes officielles. Elle a porté à son dernier terme la prétention pour chacun d’être soi. Par là, elle a été un grand déploiement de la liberté d’intelligence; par là, elle est fondamentalement libérale. Le pouvoir absolu, formant une constante alliance avec les préjugés du passé, s’est fait une ennemie de leur grande adversaire, et il a réussi à ranger du côté de l’attaque une métaphysique d’empirisme qui aurait pu tout aussi bien servir le machiavélisme de la résistance. Hobbes en effet me paraît tout autant dans le vrai de la philosophie des sensations, quand il préconise le pouvoir absolu et transforme toutes les lois en conventions arbitraires, que ces matérialistes généreux qui rappellent le peuple à la liberté et la législation à l’éternelle justice. Seulement ceux-ci, au prix de quelque tour de logique, rachètent dans l’application les fautes de la spéculation. Le sentiment moral qui les anime détourne leurs principes à la cause de le vérité, et les relève par des conséquences qu’ils ne devaient point naturellement porter. Une doctrine tout empirique enfante des vérités de raison et de justice éternelle,

Miraturque novos fructus et non sua poma ;


faute heureuse, si ce fut une faute. Que la logique en gémisse si elle veut, honneur et reconnaissance à qui, même en raisonnant mal, aura servi l’humanité! La métaphysique, importante dans les écoles, l’est beaucoup moins dans les partis. Qui ne voudrait, au prix des