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y comprenant les jansénistes, calvinistes en cela, appartiennent généralement à la portion libérale de la famille humaine. On n’en saurait dire autant de leurs adversaires dogmatiques, témoins les jésuites. De tous les chrétiens, les jésuites sont peut-être ceux qui pensent le plus de bien de la nature humaine, à les juger par leur théologie, et qui semblent en penser le plus de mal, à les prendre par leur politique. On pourrait expliquer ces contradictions au moins apparentes, et faire voir comment tantôt des idées, tantôt des circonstances également étrangères, sont venues tempérer l’âpreté de certains dogmes, fléchir la rigueur de certains esprits, ou former un amalgame neutre d’élémens opposés. Un accord relatif peut s’établir entre des principes d’action fort divers dans l’unité individuelle de la nature humaine. Cette recherche toutefois nous entraînerait trop loin, et il faudrait ici pénétrer tous les secrets de l’histoire. Qu’il suffise d’éclairer la question par ce grand et heureux exemple d’une spécieuse inconséquence qui a fait l’honneur des premières sociétés du monde.

Une observation analogue naîtrait à propos de la philosophie qui a précédé et inspiré la révolution. Prenons que la doctrine psychologique, qui dérive toute pensée de la sensation comme d’une source unique, ait pour conséquence, ainsi qu’on l’allègue, de réduire à l’évidence des sens toute certitude, à l’expérience externe toute méthode; qu’ainsi Dieu et l’âme ne soient plus que des hypothèses, sinon des chimères, et qu’enfin l’homme soit uniquement conduit par le plaisir, et la morale uniquement fondée sur l’utilité. Telle est en effet, ou du moins telle peut être la portée du sensualisme matérialiste. Or, parvenue à ce point, on défierait la logique la plus subtile d’extraire de tels antécédens l’idée de droit. Alléguerait-on que la justice est dans l’intérêt général? Il ne s’ensuivrait pas rigoureusement que la justice fût obligatoire, ni aucun de ses principes inviolable. Qu’importe l’intérêt général à l’individu, dès que son intérêt propre est intact? Le libéralisme est appuyé sur les droits de l’humanité; il ne s’impose qu’au nom de la justice. Il se réclama des vérités éternelles, ou, suivant l’admirable expression de Turgot. la résistance à l’oppression est une ligue avec Dieu même; mais l’homme du sensualisme matérialiste, l’homme machine, comme on disait, est une créature sans dignité, et comme telle il n’a rien à prétendre, s’il n’est en mesure de se faire craindre. Sans doute les libertés publiques tournent au profit de la communauté, et, pour ce motif, elle est intéressée à les obtenir. Nul cependant n’est tenu par aucune loi morale de les lui concéder, et elles n’iront qu’à l’homme assez fort pour les prendre. Le nombre et sa force, voilà en définitive l’unique titre comme le seul instrument des révolutions. Ainsi