par leurs noms que par leurs ouvrages. Quoiqu’à leur sujet il aborde les plus grandes questions, nous ne dirons pas qu’il ait embrassé leur temps tout entier. Il ne nous dispense pas de recourir à ses devanciers, soit de relire l’excellent ouvrage de M. de Barante, soit de reprendre les remarquables essais de M. Bersot, mais les parties qu’il a traitées le sont d’une manière définitive. Hommes et doctrines, il a tout jugé, et il ne nous laisse rien à apprendre sur tout le second ordre de la philosophie d’une importante époque.
Au premier abord, on peut se demander s’il était bien nécessaire de s’occuper de quelques-uns de ces dii minorum gentium de l’Olympe philosophique. Qui lit aujourd’hui d’Argens ou Lamettrie? Helvétius même est fort négligé. On sait quelques vers des Saisons de Saint-Lambert; mais ses écrits moraux sont comme s’ils n’existaient pas. Quant à d’Holbach, Naigeon, Sylvain Maréchal, Lalande et Robinet, leurs noms ont à peine survécu. Cependant, à l’intrépidité qu’ils portent dans l’aveu d’opinions qui se dissimulent mieux à présent, on reconnaît des hommes qui se sentaient sûrs du public et ne pensaient avoir à ménager que le pouvoir. Leurs négations dédaigneuses décourageaient jusqu’au doute, et la tranquillité d’esprit avec laquelle ils se plaçaient en dehors des plus anciennes croyances de l’humanité a du faire envie à plus d’un lecteur et provoquer l’imitation. Un langage qui semble clair parce qu’il a peu de nuances rend accessibles à tous des doctrines qui généralement accommodent assez les intelligences vulgaires. Aussi ces écrivains me paraissent-ils mieux caractériser leur époque peut-être que de plus éminens. Ils ont pu réussir par la médiocrité même; ils ont pu ne pas exercer une moindre influence que leurs maîtres; certainement ils en ont exercé une plus mauvaise. Ce qui manque d’originalité paraît volontiers plausible; on trouve un air de sens commun à ce qui est grossièrement dit, et ce n’est guère par l’élévation et la délicatesse du langage qu’on persuade la multitude. Il faut outrer les pensées pour se rendre populaire, et les hommes supérieurs voient d’ordinaire trop de choses à la fois pour se montrer exclusifs. Le génie s’élève au-dessus de ses propres erreurs; il les corrige ou les rachète en même temps qu’il les propage. Il n’en est pas de même des esprits du second rang : ils aggravent presque toujours ce qu’ils empruntent, mais ils le popularisent en l’exagérant. Leurs ouvrages méritent donc attention comme symptômes ou causes d’un certain état des esprits, et M. Damiron est loin d’avoir perdu son temps en se consacrant à la tâche assez pénible d’analyser des compositions parfois médiocres, presque toujours oubliées, mais qui ont eu leur importance et produit leur effet. Il a pu indiquer en les étudiant la situation intellectuelle et morale dans laquelle la société française avait été laissée par le règne de Louis XIV. Il a pu faire