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La difficulté n’est point, après tout, de trouver à qui donner des emplois et de rapprocher accidentellement des hommes. Il reste à savoir ce qu’il y a de durable dans ces combinaisons, et s’il sera également facile de résoudre les grandes questions politiques du moment. Le cabinet espagnol le sent bien, sans nul doute. Aussi, depuis qu’il est au pouvoir, s’est-il abstenu de tout acte trop significatif. Il a respecté jusqu’ici tout ce qui a été fait avant lui, laissant peu pressentir ses intentions. La loi sur la presse est intacte, et s’il y a une plus grande latitude dans les polémiques, c’est une liberté de fait, non une liberté légale. La rectification des listes électorales semblait annoncer une prochaine dissolution du congrès. Cette dissolution n’est point prononcée encore cependant. Prendre une résolution hardie et décisive sur toutes les questions qui s’élèvent à la fois, là est l’embarras manifeste du ministère. Pour le moment, le voyage que fait la reine dans les Asturies couvre ces embarras et ces irrésolutions; mais ce n’est qu’une halte, une temporisation qui ne résout rien. En attendant, les partis, un peu déconcertés dans le premier instant, commencent à laisser voir leurs vraies dispositions et leur tactique. D’assez notables nuances du parti conservateur combattent ouvertement le général O’Donnell ; la fraction démocratique repousse l’alliance offerte aux progressistes et acceptée seulement par les plus modérés d’entre eux. Le nouveau cabinet de Madrid se trouve donc placé entre deux feux, entre deux foyers d’hostilité, et c’est dans ces conditions qu’il est obligé de former en quelque sorte un parti nouveau sur lequel il puisse s’appuyer pour dominer toutes les difficultés de la situation actuelle. Il n’y a qu’un moyen de succès pour le général O’Donnell, c’est de se rattacher énergiquement à une politique toute constitutionnelle, libérale et monarchique, qui offrirait aux conservateurs les garanties qu’ils réclament et aux progressistes sincères la réalisation possible de leurs idées. C’est, à tout prendre, la politique de la constitution de 1845.

Peu de jours nous séparent des fêtes de Cherbourg. Nous n’attachons point une signification politique bien décisive aux entrevues des souverains, et nous savons que nous ne vivons plus aux temps du camp du Drap-d’Or ; il nous est cependant impossible de porter sur l’inauguration de Cherbourg et sur le voyage de la reine d’Angleterre un jugement semblable aux opinions émises à ce sujet par une portion de la presse libérale anglaise. Les journaux anglais auxquels nous faisons allusion noient décidément leur bon sens dans leur mauvaise humeur. Ce qu’il y a de mieux à discuter à propos de Cherbourg, ce n’est point si ce port militaire a un caractère directement agressif contre l’Angleterre. Si nous nous mettions à gloser ainsi sur les forces agressives des deux pays, nous ne savons si un seul négociant du Havre, de Nantes, de Bordeaux ou de Marseille pourrait dormir tranquille à la pensée des forces et des positions maritimes de l’Angleterre, et au souvenir du mal qu’elles ont fait jadis à notre commerce. Ce qu’il y aurait de plus pratique à faire, si l’on s’abandonnait à ce morose tour d’idées, ce serait, ou de désarmer sur-le-champ des deux côtés, ou d’entrer en guerre sur l’heure. Entre ces deux absurdités, gardons un sage milieu. Réservons-nous pour un avenir incertain des moyens d’agression qui sont en définitive les instrumens défensifs les plus efficaces ; travaillons d’un commun accord à repousser dans les lointains de l’avenir, ou mieux encore dans le néant, les