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toute particulière du général Havelock s’y révèle, et nous remet en mémoire les plus beaux types du temps des grandes guerres civiles. Havelock eût été sous Cromwell le modèle de ces soldats dévoués que le protecteur appelait ses côtes de fer. Religieux et brave, prédicant et soldat, convertisseur par instinct, exterminateur par devoir, Havelock est à l’heure présente un des saints de l’Angleterre en même temps qu’un de ses héros et de ses bannerets. Parmi ces tracts dont les sociétés bibliques propagent l’édifiante lecture en les mettant au plus bas prix possible, vous trouvez déjà la Biographie de Sir Henry Havelock[1]. Et pourquoi pas ? Le plus surprenant n’est pas qu’il y ait çà et là un cœur de prêtre sous une cuirasse ; la merveille au contraire est que l’idée de la mort toujours présente, toujours imminente, ne fasse pas de nos militaires, des plus vieux surtout, autant de moines armés.

Mais, sans nous écarter davantage, rentrons à Lucknow, où une nouvelle phase du siège allait commencer.


VII.

Le mois d’août, dans cette histoire de quatre-vingt-sept jours, s’appelle le mois des mines, désignation qui s’explique assez d’elle-même. Renonçant aux attaques de vive force, ou ne voulant plus les risquer que sur une enceinte moins bien prémunie, les cipayes avaient changé de tactique. Celle qu’ils adoptèrent leur assurait de grands avantages. Déjà nombreux par eux-mêmes (on a évalué au chiffre de quarante ou soixante mille hommes, et même à un chiffre supérieur, les forces, d’ailleurs flottantes, qu’ils ont pu grouper sous les murs de la résidence), ils disposaient en outre de la population ouvrière de Lucknow. Tous les coolies de cette vaste cité étaient à leurs ordres. Employer la sape et la mine leur était donc facile, et il l’était beaucoup moins aux assiégés, si peu nombreux,

    cent soixante-dix hommes. Le 21, il traversa le Gange. Le 25, il commença sa première marche sur Lucknow par un temps de pluies torrentielles qui entravaient sa marche. Le 29, il prenait d’abord Unao, puis Busserut-Gunge, en deux combats successifs, livrés le même jour, qui lui coûtèrent douze morts et soixante-seize blessés. Cependant le choléra faisait plus de ravages que le feu de l’ennemi. La colonne expéditionnaire comptait déjà près de trois cents malades. Pour les renvoyer à Cawnpore, il fallait une escorte au moins aussi nombreuse, et Lucknow était encore à douze lieues. Ce fut alors que Havelock se décida à battre en retraite jusqu’à Munghowur, où il attendit de nouveaux renforts, que Neill, resté à Cawnpore, put lui envoyer encore. Dès qu’il se vit à la tête de quatorze cents hommes, il se remit, le 4 août, en marche sur Lucknow.

  1. Il existe deux biographies d’Havelock, toutes deux par de révérends ministres (MM. Owen et Brock). Une troisième est annoncée par un allié, un ami et un frère d’armes du général. Celle-ci sera certainement plus complète et probablement mieux écrite que les deux premières.