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de philosophie ou de rhétorique; nous la demandons comme un complément logique de la constitution, nous la demandons surtout au nom des intérêts pratiques du gouvernement et de la société.

Certes c’est l’heureuse vertu de ce mot de liberté, de n’être point seulement une de ces expressions philosophiques qui parlent à la raison : il résonne dans les cœurs et y réveille toujours de fraîches et généreuses émotions. Meurtris et fatigués par la tyrannie saccadée des événemens, nous nous rendons du moins ce témoignage d’avoir gardé à la liberté toute la naïveté d’un jeune enthousiasme; mais nous savons nous conformer à la fortune des temps. Ce siècle n’est plus jeune. Ce ne sont point des amans qu’il s’agit de conquérir à la liberté, ce sont des amis clairvoyans et intéressés. La liberté a aujourd’hui pour auxiliaire le simple bon sens, et pour clientèle les intérêts positifs. Cet auxiliaire et ces cliens suffisent pour la faire triompher.

L’empereur Napoléon, parlant du gouvernement constitutionnel, qu’il cherchait à fonder pendant les cent-jours, disait avec son énergique et pittoresque bon sens qu’il faut deux forces pour faire marcher un navire, la force de propulsion et la force de résistance, et qu’un esquif qui n’obéirait qu’à une seule impulsion ne serait plus qu’un simple ballon à la merci du vent, sans direction et sans contrôle. C’est dans le développement de la liberté, en d’autres termes dans la prompte organisation des garanties régulières de la manifestation des opinions, que le gouvernement actuel doit chercher l’appui de cette seconde force dont Napoléon signalait avec tant de justesse la nécessité. Ce serait faire preuve d’une singulière myopie que de se figurer que le gouvernement actuel, avec toute sa puissance, n’a rien à acquérir dans la voie que nous indiquons. Il est deux choses qu’il importe de ne point confondre dans les conditions d’existence d’un gouvernement. Il y a d’abord le principe de ce gouvernement et le degré d’adhésion qui unit la nation à ce principe ; il y a ensuite le mécanisme d’institutions à l’aide duquel il conduit les affaires du pays : en deux mots, son établissement et son action. On ne se douterait guère, en lisant depuis sept ans les journaux qui se sont décerné la mission de défendre les institutions actuelles, que ces organes de l’opinion aient soupçonné la réalité et l’importance de cette distinction. Toutes leurs apologies ont pour objet l’établissement du régime actuel; toutes leurs polémiques se réduisent à une acclamation prolongée sans fin. On dirait, à voir l’infatigable uniformité de leurs efforts, que nous sommes encore au jour de la proclamation de l’empire. Sans parler de la forme insipide de cette éternelle adulation, ce système, qui sans cesse ramène tout à l’établissement du régime actuel, pourrait passer pour peu habile; mais il manque surtout, et c’est la seule chose qui nous regarde, de clairvoyance. Les affaires publiques marchent en effet et ont beaucoup marché depuis 1852 ; les institutions ont, depuis leur établissement, gouverné et administré les affaires du pays. C’est l’action quotidienne des institutions qui devrait principalement intéresser désormais tous ceux qui ont le droit et le devoir de s’occuper des affaires publiques. C’est l’action des institutions qui réclame le jeu de ces deux forces, destinées à se combiner par l’émulation, la lutte et le contrôle, et que Napoléon cherchait à organiser en 1815. C’est là qu’il faut porter ses regards aujourd’hui; c’est là, nous le croyons, que l’intervention de la liberté est indispensable, là qu’il faut introduire l’opinion.