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couragement sombre, amer, obstiné, qui ne leur laissait plus qu’une pensée, tuer avant de périr. L’existence était devenue pour ces malheureux un insupportable fardeau, et j’en surpris plus d’un jetant un regard d’envie aux cadavres de leurs infortunés camarades qu’on emportait le soir pour les précipiter dans la fosse toujours béante et toujours remplie… »

D’où venait la navrante déception qui portait ainsi le désespoir dans des cœurs intrépides ? Nous n’avons pas besoin de le dire à ceux qui se rappellent cette première campagne de Havelock et de Neill, si remplie de palpitantes péripéties. Cawnpore à peine repris, et lorsque le colonel Neill (bientôt après nommé général de brigade), à la tête de ses terribles fusiliers de Madras, eut exercé sur les misérables auteurs de ce massacre à jamais célèbre des vengeances à la Montluc ; quand il eut forcé les fanatiques brahmines à balayer de leurs mains, à essuyer de leurs lèvres, avant de marcher à la mort, souillés à jamais et privés de leur caste, le sang séché à l’orifice du puits où Nana-Sahib avait fait précipiter les corps mutilés de ses victimes, les deux chefs de cette mémorable expédition avaient voulu marcher immédiatement sur Lucknow. Entre eux malheureusement et la résidence assiégée se trouvait comme un épais rideau de corps armés qui, à chaque étape, se refermait obstinément devant les Anglais. Chaque jour, il fallait forcer un passage plus ou moins disputé par un ennemi dont les rangs brisés se reformaient, à peine un peu moins nombreux, à deux ou trois lieues en avant du champ de bataille abandonné. La colonne anglaise au contraire n’avait derrière elle aucune réserve où il lui fût permis de puiser pour réparer ses pertes quotidiennes. Invariablement victorieuse, chaque succès la laissait affaiblie, et le choléra venant en aide au feu des cipayes ; cette poignée d’hommes, après quelques jours de marche, fut obligée de faire halte et de rétrograder vers Cawnpore. Les détails stratégiques de cette pointe aventureuse demeurée sans résultats sont consignés tout au long dans d’excellens rapports militaires dont une note peut résumer la substance[1]. La physionomie

  1. Havelock, arrivé de Bushir (Perse) à Bombay, puis de Bombay à Calcutta, n’avait pu se trouver à Allahabad que le 30 juin. Il ne put en partir que le 7 juillet avec moins de douze cents hommes, dont mille Européens. Une avant-garde de huit cent vingt hommes, envoyée par le colonel Neill, le précédait vers Cawnpore. En somme, il n’eut pour cette première campagne que quatorze cents baïonnettes anglaises et huit canons. Le 12 juillet, il vainquit les insurgés à Futtehpore, le 15 à Pandoo-Nuddie (ce qui détermina le massacre des Européens prisonniers à Cawnpore). Le 16, il reprit Cawnpore après un combat en règle avec les troupes de Nana-Sahib. Le 19, il alla chercher le féroce rajah dans son repaire de Bithoor, où ce dernier ne l’attendit pas, et qui fut livré aux flammes. Ce fut en revenant de Bithoor à Cawnpore qu’il apprit la mort de sir Henry Lawrence. Le 20, il fut rejoint par Neill à la tête de deux