Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ponsabilité que chacun eut voulu pouvoir décliner, au moins en partie. L’amiral fondait ses reproches sur l’immobilité de la Pique après le feu de la matinée, tandis que le commandant supérieur anglais se plaignait de n’avoir reçu aucun ordre qui lui assignat nettement sa position. Quoi qu’il en fût, l’opinion se prononçait contre le départ projeté avec une unanimité qui amena le commandant de la Pique à envisager les chances d’une tentative parterre. Nulle idée ne pouvait être plus malheureuse; en thèse générale, la véritable force d’un navire réside dans ses canons, et on peut dire qu’il n’est avantageux de recourir à un débarquement que lorsque des circonstances exceptionnelles paralysent l’action des pièces. Ces obstacles n’existaient pas pour nous; nous avions pu nous convaincre que notre artillerie avait une supériorité assez marquée, et par son tir et par sa masse, pour ne pas craindre, en venant chercher l’Aurora, de prendre la ville par son côté le plus fort, et même peut-être de démasquer quelques batteries non encore aperçues dans l’intérieur du port. Au contraire, en recourant à un débarquement, en faisant agir nos équipages comme troupe d’infanterie, nous nous donnions gratuitement tous les désavantages : non-seulement nous nous privions de nos canons, mais nous acceptions un mode de combat auquel les longues navigations du Pacifique n’avaient pas permis d’exercer nos marins; que dis-je? nous ne l’acceptions pas, nous allions le chercher sur un terrain que nous ignorions, et que l’ennemi avait pu se rendre familier de longue main. Du reste il est juste de dire que ces considérations frappaient alors peu d’esprits, et qu’à partir du moment où le mot de débarquement avait été prononcé, les équipages s’étaient ralliés à ce projet avec un entraînement que partageaient beaucoup d’officiers.

L’idée première du débarquement avait été suggérée à sir Frederick. Nicholson par les rapports de deux Américains. Le 1er août, la Virago était allée ensevelir les restes de l’amiral Price dans une partie de la rade d’Avatscha, la baie de Tarinski : le vapeur y avait trouvé ces hommes occupés à couper du bois, et les avait ramenés à bord de la Pique pour y être interrogés par le commandant. Selon eux, une route large et belle devait nous conduire à la ville; de plus, la position était dominée par une montagne dont il serait facile de s’emparer; bref, ils montraient l’affaire sous un jour tellement favorable, que sir Frederick Nicholson n’hésita pas à la proposer à l’amiral Despointes. En vain ce dernier représenta-t-il d’abord que ces Américains, absens de Petropavlosk. depuis quelque temps, ne pouvaient connaître les travaux de défense exécutés par les Russes, et que par suite ils voyaient probablement les choses d’un point de vue inexact. Entraîné à son tour par le mouvement de l’opinion,