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à nous encourager au-delà même des prévisions que l’on avait pu former, car non-seulement nous avions eu un avantage marqué, ce que le rapport des forces engagées expliquait de reste, mais nous l’avions eu dans des conditions qui établissaient pleinement la supériorité de notre artillerie sur celle des Russes, dont les boulets ne nous atteignaient que rarement, tandis que la plupart de nos coups allaient porter le ravage dans leurs batteries. N’ayant éprouvé que des avaries insignifiantes, nous pouvions nous considérer comme intacts; deux de nos bâtimens n’avaient même pas été engagés, et pourtant nous étions débarrassés de deux des trois batteries qui défendaient la position. Restait, il est vrai, la plus forte, cette armée de onze pièces et située sur la langue de sable qui fermait l’entrée du port, restaient également les vingt pièces de l’Aurora et les six de la Dwina; mais nous avions pu apprécier l’incertitude de leur tir par les boulets assez nombreux qu’elles venaient d’envoyer à notre détachement, ainsi qu’aux canots qui le portaient à terre, boulets dont un seul avait atteint la coque de la Virago. Enfin, s’il était encore vrai que le vapeur eût été reconnu insuffisant à remorquer les trois frégates, on allait être dispensé d’avoir recours à lui, grâce à la brise du large qui commençait à se former du sud-sud-est, et promettait aux navires toute facilité pour prendre leurs postes sous voiles. En un mot, l’on pouvait dire qu’outre la supériorité numérique de notre artillerie, nous avions en notre faveur toutes les chances qu’il est raisonnable de demander.

Malheureusement on fut loin de les mettre à profit. Peut-être les deux chefs crurent-ils pouvoir se contenter d’une canonnade sans résultats, mais dans laquelle l’avantage leur était resté; peut-être aussi leur entente laissait-elle à désirer. Toujours est-il que les événemens de l’après-midi portèrent l’empreinte non-seulement d’une fâcheuse indécision, mais encore d’une regrettable absence d’unité dans les mouvemens. Après le dîner de l’équipage, la Forte se rapprocha de la batterie rasante, sans pourtant découvrir les navires russes, que lui masquait la pointe Shakof, et vers deux heures elle ouvrit sur cette batterie un feu auquel le Président ne vint se joindre que plus tard et d’un peu plus loin, tandis que la Pique conservait sa position du matin, alors rendue inefficace par l’éloignement. Une heure d’un tir habilement dirigé suffit pour que la batterie ennemie, dont près de la moitié des pièces avait été mise hors d’état de continuer, ralentit sensiblement son feu; bientôt l’on ne tira plus qu’à de longs intervalles de part et d’autre, si bien qu’avant quatre heures tout avait cessé, et qu’à six heures les trois frégates alliées étaient retournées à leur mouillage de la veille, hors de la portée des forts. Pendant tout le temps qu’avait duré cet échange