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III.

Le lendemain, l’amiral Zavoïka, entouré de son état-major, assistait au service divin, qui, selon la coutume des Russes au moment du combat, se célébrait dans l’une des batteries, lorsqu’un coup de canon retentit, et le boulet, sifflant au-dessus des assistans, s’en fut derrière eux faire jaillir l’eau du port intérieur. Chacun alors se rendit à son poste; l’attaque commençait. Effectivement, dès huit heures du matin, la Virago s’était mise en marche, littéralement ensevelie au milieu des trois frégates qu’elle remorquait; mais la tâche était trop forte pour elle, et malgré les efforts énergiques que trahissait son noir panache de fumée, malgré le calme qui favorisait sa manœuvre, après une heure de lutte contre un courant dont la force avait été mal appréciée, elle dut laisser les frégates alliées s’embosser plus loin des forts qu’on n’en était convenu. C’était là du reste un inconvénient que compensait largement l’habileté de nos canonniers, et dès les premiers coups chacun put aisément s’en convaincre. A chaque instant, nos boulets faisaient voler en éclats des fragmens de la muraille rocheuse à laquelle était adossée la batterie Shakof, et labouraient profondément ses remblais insuffisans. Les Russes soutinrent d’abord ce feu meurtrier avec un rare courage; mais bientôt l’état de leurs pièces ne leur permit plus d’y répondre, et une heure ne s’était pas écoulée qu’ils évacuaient la batterie. Pendant ce temps, la Pique réduisait au silence les trois pièces de la batterie du Cimetière, et le vapeur, dont le tir avait été d’une remarquable précision, s’approchant ensuite du rivage à quelque distance au-dessous de cette batterie, jetait à terre environ cent cinquante hommes, tant marines[1] que matelots français. En quelques minutes, la falaise fut escaladée et les pièces enclouées, puis le détachement se retira vers la plage, où venaient d’être envoyées comme renfort, en cas de besoin, les compagnies de débarquement de la Forte et de la Pique. On avait en effet aperçu une troupe russe assez nombreuse se dirigeant, par le cimetière, de la ville vers la batterie; cependant elle essaya à peine de s’opposer au rembarquement de nos hommes, qui, après une fusillade insignifiante, rallièrent le bord. A onze heures quarante minutes, le feu avait cessé partout, et à midi ordre était donné de faire dîner les équipages.

Le résultat de cette première partie de la journée était de nature

  1. Les royal-marines forment un corps d’infanterie d’élite, destiné, ainsi que l’indique sa devise (per mare, per terram), au service spécial de la flotte anglaise; chaque bâtiment en reçoit, selon son importance, un détachement plus ou moins nombreux.