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commandement en chef, par suite de l’usage généralement établi en pareille circonstance, était exercé par l’amiral anglais Price en vertu de son ancienneté de grade.

A mesure que l’escadre remontait vers le nord, sa navigation devenait chaque jour plus pénible, tant à cause de la brusque transition qui faisait succéder le froid de ces mers inhospitalières à la tiède température des tropiques qu’à cause des brumes intenses et continuelles qui rendaient singulièrement fatigante la nécessité de ne pas se séparer. Souvent des journées entières se passaient sans que les navires pussent s’apercevoir, si rapprochés qu’ils fussent; les tambours, les clairons, ainsi que les tintemens répétés de la cloche, avertissaient seuls d’une proximité dangereuse et permettaient d’éviter les abordages, en même temps que des coups de canon, tirés en ordre déterminé et à intervalles réguliers, fixaient autant que possible les positions relatives des différentes conserves. C’est par une de ces brumes froides et épaisses que la fête du 15 août fut célébrée à bord des divers bâtimens, et certes, en se reportant en pensée au temps splendide, à la température d’été qui accompagnent à Paris cette solennité, il était difficile de croire que l’on se trouvât, comme nous l’étions réellement, sur un parallèle plus méridional que celui de Paris. La marche des navires était du reste assez lente; l’impossibilité où était la Virago de les suivre sous voiles, jointe à la crainte de perdre ce précieux vapeur, le seul que l’on possédât, avait engagé l’amiral Price à le faire remorquer par le Président; de plus, l’absence de soleil et le manque d’observations laissaient la position de l’escadre dans une incertitude qui ne permettait d’approcher de terre qu’avec une extrême prudence. Enfin, le 25 août au soir, une voile fut signalée à travers la pluie qui masquait l’horizon, et l’on reconnut l’Eurydice, séparée depuis quelques jours du reste de la division. Elle signalait la terre à dix milles, mais sans l’avoir vue assez clairement pour en fixer la position. La nuit s’annonçait menaçante, les grains se succédaient lourds at rapprochés; on ne pouvait que virer de bord pour reprendre la bordée du large en attendant le jour, qui revint ramenant le même horizon borné à quelques centaines de mètres par un impénétrable rideau de pluie. Ainsi se passèrent les journées du 26 et du 27, dans une ignorance que ne purent dissiper les lignes indistinctes sous lesquelles, pendant de fugitives éclaircies de quelques minutes, se profilait parfois confusément une pointe de terre. Le 28 seulement, vers quatre heures du matin, la pluie cessa, la voûte terne et plombée des nuages se déchira pour laisser paraître un ciel d’un bleu pâle et doux, et les rayons du soleil levant éclairèrent du nord à l’ouest les cimes neigeuses des magnifiques volcans qui forment les atterrages de la