Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle occupe. De l’aveu même des Russes, il n’en a pas toujours été ainsi, et la seule rivière Kamtchatka ne réunissait pas moins de cent seize villages sur ses bords à l’époque de la découverte. Cette diminution est-elle, comme on l’a souvent prétendu, le résultat d’épidémies meurtrières et des germes d’infection que les habitans contractaient dans les habitations souterraines où, selon l’expression de La Pérouse, ils se terraient comme des blaireaux pendant l’hiver? Ne serait-elle pas plutôt, au dernier degré de l’échelle, un nouvel exemple de la loi fatale qui condamne la race conquise à disparaître devant la race conquérante, loi dont tout à l’heure l’Hawaïen nous offrait la triste application, et dont, sur des proportions gigantesques, les deux Amériques ont fourni la trop décisive confirmation? C’est ce que le manque de données rend difficile de décider en connaissance de cause. Du reste il est juste d’ajouter que la domination des Russes, d’abord oppressive et tyrannique, s’est depuis plusieurs années transformée en un gouvernement paternel et doux, qui ne permet plus de leur attribuer aujourd’hui aucune part dans cette dépopulation, si tant est qu’elle continue à se manifester encore.

Tout portait à croire que les navires de la compagnie russo-américaine, navires de grandeurs diverses, et au nombre de dix ou douze[1], seraient réunis sous la protection de tout ou partie de l’escadre russe, soit à Sitka, soit à Petropavlosk. Dès lors la marche des alliés était toute tracée, et, les vents d’ouest qui dominent dans ces parages devant faciliter au besoin la traversée du Kamtchatka à Sitka, c’était sur Petropavlosk qu’il convenait de se diriger en quittant la rade d’Honolulu. Ce fut en effet à ce parti que l’on s’arrêta, tout en donnant suite au premier projet d’expédier deux navires sur la côte de Californie, et le 30 juillet, cinquième jour après le départ, les deux corvettes l’Artémise (française) et l’Amphitrite (anglaise) recevaient l’ordre de faire route vers San-Francisco. Par le fait de cette séparation, la division alliée restait définitivement composée de la manière suivante : bâtimens français, Forte, de 60 canons; Eurydice, de 30; Obligado, de 12; anglais, Président, de 50; Pique, de 46 ; Virago, vapeur de 220 chevaux et de 6 canons. Le

  1. Deux de ces navires, armés de quelques canons, comme ils l’étaient tous, trouvèrent moyen d’échapper aux alliés en se réfugiant à temps dans le port de San-Francisco de Californie, et le commerce, prompt à s’alarmer, leur prêta des intentions de course dont certes ils étaient bien éloignés. Ce fut l’origine de ces bruits de corsaires russes auxquels nous avons fait allusion, et qui préoccupèrent à tort les deux amiraux. Bien que ces navires, presque complètement désarmés, ne songeassent nullement à appareiller, la Pique, se trouvant à San-Francisco en 1855, les envoyait chaque nuit surveiller par ses canots, luxe de précautions auquel répondirent assez spirituellement les Russes en envoyant également leurs embarcations surveiller de nuit la frégate anglaise.