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Ce navire était la frégate russe l’Aurora, venant de Cronstadt et arrivée peu de jours auparavant au Callao, où sa relâche avait été limitée au temps strictement nécessaire pour renouveler ses approvisionnemens. A la date du 26 avril 1854, il y avait déjà un mois que la guerre était déclarée en Europe; aussi les dernières nouvelles reçues au Pérou la présentaient-elles comme imminente, et le vapeur anglais Virago attendait-il avec impatience à Panama les dépêches annonçant le commencement des hostilités aux chefs de la division alliée du Pacifique. Les saints d’usage avaient néanmoins encore pu être échangés entre la frégate russe et les deux amiraux; les visites officielles avaient été faites et rendues, et, comme nous venons de le voir, l’Aurora continuait sans obstacle sa route vers les lointaines possessions septentrionales de la Russie. Enfin, le dimanche 7 mai au jour, les vigies signalèrent un bâtiment en vue, et bientôt le vapeur Virago mouilla sur rade, — apportant les déclarations publiquement transmises le 28 mars aux parlemens d’Angleterre et de France.

Comment cette nouvelle trouvait-elle les escadres alliées? Dans une mer aussi vaste que le Pacifique, avec les exigences nombreuses et diverses qui y forcent le chef d’une division navale à disperser ses bâtimens, soit dans les archipels peu fréquentés de la Polynésie, soit sur une côte d’un développement de 2,000 lieues, on conçoit qu’il était en quelque sorte impossible aux amiraux français et anglais d’avoir au jour précis de la dénonciation des hostilités toutes leurs forces réunies au Callao. Aussi n’avions-nous dans ces parages que la Forte, de 60 canons, montée par le contre-amiral Febvrier-Despointes, commandant en chef, et le brick Obligado, de 12 canons. L’Eurydice, corvette de 30 canons, stationnait non loin de là, à Valparaiso; malheureusement l’escadre était privée du seul vapeur qu’elle possédât, le Prony, alors à l’autre extrémité du Pacifique, sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie, dont nous venions de prendre possession. Les bâtimens anglais, plus nombreux, étaient aussi plus dispersés, de sorte que le contre-amiral David Price, qui les commandait, se trouvait n’avoir guère sous la main qu’une force à peu près égale à la nôtre, composée de la frégate Président, de 50 canons, portant son pavillon, du vapeur Virago, et de l’Amphitrite, corvette de 30 canons, restée à Valparaiso comme l’Eurydice. A la vérité, il attendait de jour en jour d’Angleterre l’arrivée, annoncée par ses dépêches, de la Pique, frégate de 50 canons. Quant au nombre, à la force des navires ennemis, à leur distribution sur les divers points du vaste territoire russe baigné par ces mers, quant à tous les renseignemens, en un mot, si précieux à recueillir au début d’une guerre, nous étions, il faut le reconnaître, dans une ignorance aussi regrettable que difficile à concevoir. On