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Comme on peut le croire, cet état de bien-être tout à fait relatif ne dura pas au-delà de quelques heures. Dès le lendemain, le découragement, l’ennui, la fatigue, revinrent plus poignans que jamais. Le lendemain en effet, le successeur désigné par sir Henry Lawrence, le major Banks, qui s’était montré digne de ce choix flatteur et périlleux, fut atteint par un boulet pendant qu’il examinait, du haut de la batterie Gubbins, quelques maisons occupées par l’ennemi. La tête fracassée, il tomba mort sans pousser un cri. Le commandement suprême se trouva ainsi dévolu au colonel (depuis brigadier-général) Inglis, qui le conserva jusqu’à la fin du siège, non sans rencontrer quelque opposition de la part du commissaire fiscal, M. Gubbins. Il pourra sembler étrange qu’en des circonstances si particulièrement critiques des questions d’amour-propre, de prérogative, aient encore le privilège de soulever quelques susceptibilités entre frères d’armes. La chose est pourtant ainsi. Le commissaire fiscal s’était mis en rapport direct avec le gouverneur-général, auquel il adressait lettres sur lettres par des messagers plus ou moins adroits, plus ou moins fidèles, et qui, sortis une fois de l’enceinte assiégée, n’y reparaissaient jamais. Le colonel Inglis, supposant avec quelque raison que ces dépêches réitérées pouvaient bien tomber aux mains de l’ennemi, à qui elles donnaient sur la situation intérieure de la place des renseignemens propres à l’encourager, voulut faire cesser une correspondance si compromettante. À des observations mal accueillies il fit succéder des ordres formels, qui ne furent pas écoutés, et il se vit enfin obligé de revendiquer dans toute leur étendue les droits incontestables que la situation donnait à l’autorité militaire, responsable de la défense et par-là même investie de pouvoirs littéralement absolus. M. Gubbins, menacé des arrêts forcés nonobstant son grade élevé dans la hiérarchie civile, finit par céder, mais non sans avoir à se reprocher un éclatant exemple d’indiscipline fort mal à propos donné[1].

Cinq jours s’étaient écoulés depuis l’assaut du 20 juillet, cinq jours pluvieux, où une vapeur lourde, montant de la terre alternativement échauffée et mouillée, aggravait l’état hygiénique de la garnison. La fièvre, la dyssenterie et le choléra sévissaient à la fois. L’hôpital était encombré, les soins manquaient forcément. De malheureux blessés, se tordant sur quelques lambeaux d’étoffe jetés

  1. On doit comprendre que nous sommes ici tout simplement les échos des censures portées par des témoins oculaires sur la conduite du commissaire fiscal. Aussi tenons-nous à dire qu’on annonce de M. Gubbins un ouvrage où sans doute il veut expliquer et justifier sa conduite dans des circonstances si délicates. En voici le titre : An Account of the Mutinies in Oude and the Siege of Lucknow Residency, with some observations on the cause of the mutiny, by Martin Richard Gubbins, financial commissioner for Oude.