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l’éducation et du gouvernement des esprits ; mais peut-on avoir cette assurance ? Or, si l’on admet comme possible l’hypothèse où une telle administration tomberait entre les mains d’hommes qui n’auraient pas toutes les qualités qui viennent d’être énumérées, que l’on songe aux conséquences. Les intérêts les plus chers de l’esprit, tout le mouvement littéraire, scientifique, philosophique, religieux même, seraient exposés à une maîtrise d’autant plus dangereuse que la machine administrative dont on se servirait pour l’exercer serait plus perfectionnée.

Cessons donc de croire que la révolution de 1789 nous dispense de pénétrer plus avant dans le passé de l’humanité. Quelque important que soit cet événement, il produit sur nous une illusion d’optique, à peu près comme le dernier plan de montagnes borne toujours la vue, et cache les montagnes bien plus hautes qui sont au-delà. La révolution séduit d’abord par la fierté de ses allures, et par ce grand air passionné qu’ont toutes les histoires qui se déroulent dans la rue. Longtemps elle m’a ébloui : je voyais bien la médiocrité intellectuelle et le peu d’instruction de ceux qui la firent ; mais je m’obstinais à prêter à leur œuvre une grande portée politique. Depuis, j’ai reconnu qu’à un petit nombre d’exceptions près, les hommes de ce temps étaient aussi naïfs en politique qu’en histoire et en philosophie. Voyant peu de choses à la fois, ils n’aperçurent pas combien la société humaine est une machine compliquée, combien ses conditions d’existence et de splendeur tiennent à d’imperceptibles nuances. La connaissance approfondie de l’histoire leur manquait entièrement ; une certaine emphase de mauvais goût leur troublait le cerveau et les mettait dans cet état d’ivresse particulier à l’esprit français, où se font souvent de grandes choses, mais qui rend impossible toute prévision de l’avenir et toute vue politique un peu étendue.

Sont-ce là des motifs pour désespérer et pour envisager le développement libéral de la France comme flétri dans sa fleur ? Non certes ; ce sont des motifs pour redoubler de sérieux et pour suppléer par notre application aux avantages que nos pères ne nous ont pas légués. En politique comme en morale, les vrais devoirs sont ceux de tous les jours. Il n’y a que les âmes faibles qui règlent leurs opinions en vue des succès probables de l’avenir : je dirai presque que l’avenir n’importe pas à l’honnête homme, puisque, pour se dévouer aux belles et aux bonnes choses, il n’est pas nécessaire de supposer qu’elles soient destinées à l’emporter. Si quelque classe de la société française n’a pas rempli la tâche qui lui semblait dévolue, il n’en faut pas conclure qu’une seule chose, c’est que sa place est à prendre. Toute nation traverse l’histoire en traînant avec