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Je dois à la nouvelle Académie des Inscriptions de protester ici doucement; mais que cette idylle de la rue Hautefeuille et de la rue Serpente (hélas! existent-elles encore?) a de charme, et que j’en veux au besoin de la ligne droite qui détruit tous les jours autour de nous l’image de ces anciennes mœurs! Comme en lisant cette page délicieuse je vois bien vivre nos vieux confrères, Silvestre de Sacy, Lanjuinais, Anquetil-Duperron, Camus, Larcher, Du Theil, Villoison, Saint-Croix, Daunou, tant d’autres qui relevèrent, il y a soixante ans, les études anéanties ! Nous comprenons plus de choses peut-être, nous sommes de plus subtils philologues, des critiques plus délicats. Depuis qu’on a pacifié la science comme tout le reste, nous avons peine à comprendre leurs luttes, leur roideur, leurs rivalités, leur assurance dans leur opinion; mais aussi quelle verdeur! quelle fermeté! quelle estime pour eux-mêmes ! quelle austérité de caractère ! Comme ils haïssaient! comme ils aimaient ! Ils avaient beaucoup de préjugés; mais qui sait si nous ne devons pas les leur envier? Ils étaient d’une religion sévère, mais jamais d’une religion étroite. L’esprit sectaire, qu’ils portaient souvent dans leur foi, avait lui-même de grands avantages, les membres d’une secte dissidente étant presque toujours individuellement supérieurs aux fidèles des grandes églises établies, par le seul fait que la croyance est pour eux le résultat d’un choix et suppose un effort personnel de la raison.

C’est dans une de ces savantes et patriarcales maisons, embellies seulement par l’austère poésie du devoir, qu’il faut chercher les origines de M. de Sacy. Ce goût si délicat des travaux de l’esprit, cette culture si solide et si arrêtée, cette nuance de religion si finement maintenue au milieu d’écueils divers, et où se combinent si heureusement les avantages du scepticisme et les bons côtés de la foi, cette piété en même temps si sincère et si libre, donnant la main à tout ce qui, en dehors d’elle, aspire au même but par d’autres voies, toutes ces qualités, qui sont si peu de notre temps, où en trouver l’explication, si ce n’est dans les habitudes studieuses d’une église d’élite, qui, au lieu de réclamer l’obéissance aveugle des croyans, leur faisait un devoir de penser par eux-mêmes? Ces rigides chrétiens étaient loin de soupçonner la théorie inventée de notre temps, et si commode pour la paresse, d’après laquelle le fidèle, remettant à qui de droit la charge de régler son symbole, est dispensé du soin de se l’assimiler par la réflexion. Ils aimaient les livres et lisaient beaucoup; ils les copiaient même, et, dans quelques-unes de ces sévères familles, les jeunes personnes n’avaient pas de plus agréable passe-temps que de transcrire d’un bout à l’autre les écrits de Saint-Cyran et du père Quesnel. L’habitude où étaient souvent les laïques de dire leur bréviaire, en ramenant à