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cerner et suivre chaque mouvement de l’opinion, vient d’admettre dans son sein un homme qui n’a écrit que des articles de journaux, et qui déclare nettement qu’il n’écrira jamais autre chose. On se figurait que les rapides improvisations de la presse quotidienne ne pouvaient avoir la solidité des œuvres étudiées ; on croyait que notre vieille langue académique n’est pas celle qui convient à cette éloquence affairée d’un siècle positif : or voici un livre composé d’articles de journaux, et ce livre, quelque jugement que l’on porte sur le fond des idées, est peut-être celui de nos jours qui rappelle le mieux la langue du siècle auquel on a décerné le titre de classique. L’occasion éphémère produit souvent des écrits qui ne le sont pas : Bossuet, Bayle, Voltaire, composèrent à peine un ouvrage sans y être provoqués par un fait contemporain; les plus beaux livres de l’antiquité furent en leur temps des écrits de circonstance. Je dirai plus : on n’est complètement à l’abri de toute déclamation que quand une nécessité vous force ainsi à parler ou à écrire, et qu’on peut se rendre ce témoignage que ce n’est point par choix qu’on s’ingère à occuper le public de soi et de sa pensée.

Des deux sortes d’esprits entre lesquels se partage le monde, les uns formant leur opinion par la vue spéciale et analytique de chaque objet, les autres par une sorte de raison générale et de foi en la droiture de leur instinct, la seconde est bien décidément celle à laquelle appartient M. de Sacy. Ce n’est ni un historien, ni un philosophe, ni un théologien, ni un critique, ni un politique : c’est un honnête homme ne demandant qu’à son sens droit et sûr des opinions sur toutes les questions que d’autres cherchent à résoudre par la science et la philosophie. L’historien réclamera contre ses jugemens, le poète réclamera, le philosophe réclamera, et souvent avec raison; mais le bon sens général a aussi ses droits, à la condition qu’il ne soit pas intolérant et n’essaie point d’être une limite à la grande originalité. Tel il se montre chez M. de Sacy : les partis pris de cet écrivain si attachant ne sont pas ceux d’un esprit étroit, refusant d’admettre ce qui dérange ses habitudes, et fermé à tout ce qu’il ne comprend pas; ce sont, si j’ose le dire, les pactes qu’un cœur honnête conclut avec lui-même pour ne pas regarder ce qui ne peut contribuer à le rendre meilleur. L’esprit vraiment étroit ne s’aperçoit pas de sa petitesse : il croit le monde borné à l’horizon qu’il embrasse, et c’est par là qu’il nous irrite, comme tout ce qui est prétentieux et vain; mais ici c’est une limite sentie et voulue, ce sont des préjugés ayant conscience d’eux-mêmes et ne cherchant point à s’imposer aux autres. Ces préjugés-là, ne venant ni de paresse ni de contrainte, sont la meilleure garantie de la conservation d’une foule d’excellentes qualités nécessaires au bien du monde. La