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I.

« J’en fais l’aveu sincère, dit M. de Sacy en tête de l’intéressant recueil qui me suggère ces réflexions, je n’ai pas changé. Que ce soit un mérite ou un tort, je suis resté le même. Bien loin de m’avoir ébranlé dans mes convictions, la réflexion, l’âge et l’expérience m’y ont affermi. Je suis libéral comme je l’étais il y a trente ans. Je crois au droit et à la justice comme j’y croyais dans ma plus naïve jeunesse. Ce principe de liberté, que le temps et les circonstances ont ajourné dans la politique, je suis heureux de le reprendre dans les lettres, dans la philosophie, dans tout ce qui est du domaine de la conscience et de la pensée pure. C’est ce que nous essayons de faire au Journal des Débats. Avec des nuances de goût et d’opinion différentes, c’est l’esprit qui nous rallie tous; c’est aussi celui, j’en ai l’espoir, qu’on retrouvera à chaque ligne dans les articles de critique et de littérature qui forment ces deux volumes. »

C’est en effet la gloire de l’école libérale, et la meilleure réponse qu’elle puisse faire à d’injustes dénigremens, que de s’être retrouvée, au lendemain de la catastrophe qui semblait lui donner tort, ce qu’elle était quand la direction du monde lui appartenait. Je dirai bientôt avec quelles réserves on doit admettre, selon moi, les principes de cette école; mais il est un éloge qu’on ne peut lui refuser : celui d’une conviction sérieuse, ne se laissant point rebuter par les contre-temps, supérieure au succès, persistant à espérer contre toute espérance. On n’examinera pas si la résistance qu’elle a opposée aux faiblesses contemporaines eût pu être, je ne dis pas plus sincère, mais plus efficace. Peut-être, déshabituée qu’elle était de compter avec d’autres entraves que celles de sa conscience, n’a-t-elle pas toujours usé, comme l’affirmait M. Guizot dans une circonstance solennelle, de toute la liberté qu’elle avait. L’état n’ayant jamais intérêt à pousser les choses à l’extrême, l’individu a contre lui bien des avantages, quand il est à la fois prudent et résolu à ne pas céder; mais il est tout simple que les hommes modérés, envisageant la liberté comme un droit de ceux qui en sont dignes, et non comme un privilège des audacieux, soient plus embarrassés que d’autres le jour où ils sont obligés d’être leurs propres censeurs. Cette contrainte d’ailleurs a d’excellens résultats littéraires : il semble que l’ennoblissement du publiciste ait daté du moment où il ne lui a été possible de tout dire qu’à la condition de le bien dire. A peine consentait-on autrefois à accorder une place en littérature à l’homme voué au rude labeur d’écrire pour un jour : or voici que l’Académie française, douée d’un tact si délicat pour dis-