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droit de veiller sur la santé et l’intégrité morale de l’âme en lui révélant à quels penchans il est honteux de céder, et par quels sentimens il est beau d’être régi et déterminé dans ses volontés. Hors d’elle-même enfin, la raison avait prétendu ne reconnaître aucune autorité, et de ses prétentions il n’était résulté qu’une chose : pendant qu’on négligeait de faire prévaloir les bonnes inspirations, on avait simplement livré les caractères à la croissance spontanée des mauvais appétits; pendant que l’on croyait établir le règne des lumières en habituant les hommes à ne jamais se laisser diriger par aucun de leurs sentimens, on avait simplement anéanti l’être humain. A la fin on fut obligé de sentir que la nature aussi avait ses exigences légitimes, que ses propriétés morales avaient autant de réalité que les propriétés des corps, et que parmi nos sentimens irréfléchis il se trouvait des inspirations plus savantes que toute science, plus habiles que tout calcul : sympathies ou répugnances, qui étaient précisément la voix des besoins inconnus de notre être et l’instinct de conservation qui nous éloignait des dangers invisibles à notre intelligence. On sait comment la philosophie allemande a pris la parole pour montrer que les réalités elles-mêmes, telles que nous croyons les observer, ne sont en grande partie qu’une création de notre moi. La protestation, quoiqu’elle ait pu sortir des justes bornes, était assez claire. L’âme humaine n’avait pas voulu se laisser anéantir; elle s’était aperçue que toute la science que nous pouvons avoir sur la manière d’être des faits extérieurs n’a ni le pouvoir ni l’autorité de nous déposséder des forces morales que nous avons reçues pour aimer, imaginer, vouloir, et nous faire à nous-mêmes notre destinée. La conscience en un mot s’était retrouvée, et c’est là ce qui a produit ce que nous avons vu de notre temps : un réveil moral et religieux, une renaissance poétique, de merveilleuses conquêtes dans le champ de la psychologie, de l’esthétique, de la peinture, comme aussi dans l’histoire et la critique, où, sans un puissant retour sur nous-mêmes, nous ne parviendrions jamais à comprendre l’esprit des individus et le caractère des anciennes générations. Ce que tout cela me semble signifier, c’est que nous allons contre une loi de notre espèce, quand nous ne songeons qu’à savoir et à savoir faire. Il ne s’agit pas seulement de connaître, il s’agit d’être aussi; il s’agit de joindre la vie de la conscience à celle de l’intelligence, et, si je ne me trompe, il est évident que, parmi les peuples actuels, ceux qui montrent le plus de force et de santé sont précisément ceux qui, depuis le commencement du siècle, ont présenté le développement moral le plus énergique.


J. MILSAND.