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savoir plus long que le monde entier. Quant à Diogène, je le tiens pour l’homme le plus suffisant de son temps, et à mes yeux il s’est montré plus ambitieux en refusant tous les honneurs qu’Alexandre en n’en rejetant aucun. »

Ce qu’il me reste à rapporter de la vie de Browne, — et c’est ce que nous en savons de plus intime, quoique ce soit peu de chose, — paraît confirmer l’opinion où m’ont conduit ses écrits. En tout cas on y trouvera la preuve que dans plus d’un passage de sa Religio où on pourrait le soupçonner de s’être jugé avec partialité, il n’avait fait qu’apprécier justement ce qu’il était capable de pratiquer à l’occasion.

Browne eut cinq enfans, et, comme nous l’apprend le révérend Whitefoot, « son indulgence, sa libéralité envers eux, surtout pour leurs voyages, l’entraînèrent à de grandes dépenses. » Les voyages en effet paraissent avoir tenu une place importante dans son plan d’éducation, car, sur ses trois filles, deux visitèrent la France au moins, et ses fils passèrent plusieurs années à parcourir à ses frais une bonne partie de l’Europe. Le ton que ses enfans gardent envers lui est toujours à la fois confiant et respectueux, et tout nous donne à penser que Browne était dans sa maison tel que nous l’avons vu dans ses rapports avec la religion : à la fois plein de tenue et de bienveillance, n’aimant chez les autres aucune intempérance, et n’ayant lui-même aucun penchant impérieux. Loin d’être jaloux de son autorité, il faut croire qu’en faisant voyager ses fils, il voulait surtout les habituer à penser et à agir par eux-mêmes. Ce qui frappe encore dans la correspondance de Browne, et ce qui vient s’ajouter à bien d’autres raisons pour contredire l’éternelle abstraction qu’on lui a prêtée, c’est la part qu’il fait aux nouvelles locales et à la petite chronique du coin du feu : élections, rassemblemens de la milice, faits et gestes des notables de la ville, mariages et visites d’amis. Sur tout cela il a son mot à dire, quoique avec sa réserve caractéristique. Il craint de juger et se plaît à raconter. Toutefois c’est surtout le père qui se montre chez lui. Il reste dans sa dignité propre, et il est religieusement préoccupé de sa responsabilité. Les conseils qui reviennent le plus souvent sous sa plume quand il s’adresse à son jeune fils Thomas sont ceux de rester ferme dans sa religion protestante et de conserver la crainte et le respect de Dieu, d’avoir de l’économie et de la sobriété, d’être patient, civil et débonnaire pour tous, courtois et humble dans sa conversation, de bien veiller à se débarrasser, s’il se peut, du pudor rusticus, qui est la ruine des bonnes natures, et de se former un beau port et une honnête assurance, « ce qui ne s’apprend nulle part, si on ne l’apprend pas en France. »