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ment accuse avec éloquence les deux vitalités qui, sans s’étouffer l’une l’autre, produisent pendant un demi-siècle une des phases les plus riches des annales anglaises.

Cette double activité du sentiment et de l’intelligence est également ce que nous découvrons au fond du tempérament de Browne. S’il éveille aussi vivement la curiosité, c’est en même temps par l’intérêt historique des deux élémens qui font de lui un abrégé de son époque, et par l’intérêt moral de la singulière individualité qui résulte en lui de leur fusion. En faisant cette remarque, je n’ai nullement la pensée de rien enlever à son originalité : — nous nous plaisons beaucoup trop, je crois, à expliquer les grands esprits par l’esprit de leur siècle et à supposer que les natures extraordinaires sont formées par la nature banale de tout le monde. Ce que je veux dire, c’est que, grâce à des dispositions innées, Browne a trouvé moyen de combiner en sa personne les deux manières d’être qui se manifestaient parallèlement autour de lui; c’est qu’il a appartenu en même temps aux générations qui l’avaient précédé et à celles qui allaient le suivre. Aussi ai-je cru bon de le scinder pour ainsi dire en deux. J’ai parlé d’abord de l’ouvrage où sa curiosité intellectuelle se révèle le mieux, et j’ai réservé pour la fin ceux de ses livres où il écrit plutôt comme un homme du moyen âge, sous la dictée de ses sentimens. Pour achever d’étudier ses œuvres, nous jetterons au moins un coup d’œil sur quelques autres écrits où Browne reste en quelque sorte à mi-chemin entre le monde de son esprit et le monde des choses.


II.

Après avoir publié la Pseudodoxia, Browne ne se présenta plus qu’une seule fois devant le public : ce fut en 1658, année où il donna dans un même volume son Jardin de Cyrus et son Hydriotaphia ou Sépulture des urnes. Parmi ses ouvrages, il n’y en a point où le mélange de tout ce qui se rencontrait en lui soit plus remarquable que dans ces deux traités. L’Hydriotaphia, qu’il avait écrite à propos de quelques urnes antiques découvertes dans le Norfolk, est un discours funèbre où il discute en érudit les coutumes des anciens peuples à l’égard des morts, où il parle en savant des substances trouvées dans les urnes du Norfolk, où il médite en philosophe sur toute cette science de la mort et sur la mort elle-même. Quant à l’autre dissertation, pour en faire comprendre la bizarrerie, il suffira d’en citer textuellement le titre : le Jardin de Cyrus, ou le losange quincunciel, ou les plantations réticulées des anciens, considérées artificiellement, naturellement et mystiquement. Les quinconces sont le prétexte du livre. Avec des si, des peut-être, des probablement,