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voie du sort. En Irlande et dans les highlands d’Ecosse, on rencontrerait peut-être encore des terres affermées par toute une commune, tous les membres étant solidairement responsables vis-à-vis des seigneurs pour le paiement de la rente; jadis ce mode d’exploitation était très répandu (runrig partnership tenures). Le partage du terrain se faisait, autant que possible, par portions égales de qualité et d’étendue, de telle sorte que chacun pût avoir du bon et du mauvais terrain, des endroits rapprochés et éloignés. Ce partage avait lieu pour tout le temps, ou périodiquement, par voie de tirage au sort. Le travail était, autant que possible, accompli en commun, surtout le labourage; les pâturages demeuraient indivis.

Qu’on cesse donc d’attribuer à un principe slave l’organisation communiste des terres des paysans en Russie. Pour détruire une pareille erreur, il suffit d’ailleurs d’étudier le développement régulier de la propriété privée dans un pays voisin, appartenant à la même race, en Pologne. Le partage périodique des terres, avec attribution par la voie du sort, ne constitue nullement une particularité du droit slave : il tient à d’autres causes, et surtout à des raisons d’économie rurale. Ce n’est point un principe, mais un procédé en harmonie avec un certain degré de développement social et un certain mode d’exploitation du sol.

Tant que la culture s’étend à des espaces d’une valeur à peu près nulle, et par conséquent tant qu’elle est grossière, l’exploitation commune par village et la confusion des parcelles peuvent présenter de l’avantage. La sécurité exige à tout moment, dans les temps demi-barbares, la défense commune, et les travailleurs réunis aux mèmes époques, dans les mêmes lieux, peuvent y pourvoir plus facilement. Le sentiment de l’intérêt général n’appartient qu’aux peuples civilisés; pour l’éprouver, il faut comprendre qu’on profitera ensemble de l’effort de chacun, et par conséquent être prêt à consentir les mêmes sacrifices. Ce sentiment est fort peu répandu dans les sociétés primitives, qui sont essentiellement égoïstes. La communauté d’exploitation se maintient tant que la division du travail et la liberté n’ont pas encore réalisé une forme plus élevée de communauté sociale. Les capacités supérieures se trouvent à l’étroit; elles sont gênées par la confusion des parcelles; mais l’homme primitif, simple et faible, y rencontre secours et appui. Les préjudices causés par ce régime, la perte de temps, l’obstacle mis à l’emploi du capital et aux améliorations foncières, la quantité des terrains forcément stériles, sont peu sensibles quand on consacre à la terre peu de travail, quand le mode de production est simple, uniforme. Aussitôt cependant que la culture prend de l’essor et se diversifie,