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nouissent devant l’impitoyable réalité. Si les beautés naturelles de la campagne italienne, vantées dans les Eglogues et les Géorgiques, sont restées aussi fraîches; si les charmes de Tivoli, chantés par Horace, sont encore aussi ravissans, il n’en est pas de même des lieux peuplés de divinités par Virgile et Ovide, — l’Olympe, les Enfers, les Champs-Elysées. Dieux et déesses, oracles et pythonisses, qu’êtes-vous devenus? Faut-il le dire? On pêche des huîtres dans l’Averne, le Styx fait tourner un moulin à farine. Enfin la Sicile vous attend pour donner le dernier coup à vos illusions, une à une dispersées. La patrie de Cérés, les lieux où elle initia l’homme à l’art divin de cultiver la terre sont bien déchus de leur antique fertilité.

Autour des grandes villes, telles que Palerme, Messine, Syracuse, se trouvent quelques gorges richement cultivées, où l’oranger et le citronnier produisent des fruits en abondance; mais l’intérieur de l’ile est inculte, dépeuplé, abandonné à la vaine pâture de troupeaux misérables. Seuls, quelques vignobles, ceux de Syracuse et de Marsala entr’autres, produisent des vins secs ou liquoreux qui ont de réelles qualités, altérées le plus souvent par l’addition d’alcool. Ces vignobles ont souffert de la maladie qui a exercé en France de si cruels ravages. Heureusement l’emploi du soufre réitéré et à haute dose semble avoir donné à la vigne une vigueur et une fertilité toutes nouvelles. L’efficacité du soufre était depuis longtemps connue en France qu’elle n’avait pas encore été signalée en Sicile, où le remède se trouve à côté du mal. C’est que les journaux, les publications françaises n’arrivent que difficilement dans le royaume des Deux-Siciles. Le cordon sanitaire dont on semble entourer cet état pour lui couper toutes communications intellectuelles n’a probablement jamais arrêté la propagande pernicieuse; en revanche il s’oppose singulièrement aux progrès et à la prospérité de la population. Si cette découverte eût tardé seulement d’une année à être connue dans les provinces vignobles, surtout aux îles Lipari, qui se livrent exclusivement à la culture de la vigne, la misère la plus affreuse désolait ces pays, qui, grâce au soufre, ont obtenu des revenus inespérés.

A l’époque où je visitais la Sicile, une exposition de l’industrie avait lieu à Palerme. Il est intéressant de voir comment on interprète ces institutions suivant les pays. En France, il serait fort difficile de se faire une idée exacte de notre état agricole par ces expositions : l’agriculture y montre en général moins ce qu’elle est que ce qu’elle voudrait être; elle se préoccupe peu de ce qu’elle a de bon, de recommandable et d’ancien, et beaucoup de ce qui est nouveau et coûteux. À ce point de vue, les expositions suivent chez nous je ne sais quels erremens fâcheux, et l’Italie se modèle sur la France.