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établir d’abord sur leurs terres un troupeau de mérinos ; à mesure que ce noyau se multiplierait et s’accroîtrait, le domaine s’améliorerait autour de son centre. Ces améliorations auraient un double but : dessécher les parties trop humides, en renvoyer les eaux à la mer, ou en profiter pour arroser des terrains trop secs ; utiliser surtout ces torrens qui, après chaque pluie, causent en descendant des Apennins de ruineuses inondations ; il faudrait retenir leurs eaux en partie dans des réservoirs, puis les distribuer en temps de sécheresse. L’Anio lui-même, qui forme à Tivoli ces ravissantes cascades, pourrait après sa chute arroser des milliers d’hectares. On arriverait ainsi à assainir la campagne des environs de Rome, à rendre l’agriculture prospère ; la population rurale, excitée au travail, ferait enfin connaissance avec le bien-être, et l’accroissement de leurs revenus dédommagerait largement les propriétaires des avances faites en capitaux.

Pour se rendre de Rome à Naples, il faut traverser les Marais-Pontins. Cette partie des états du saint-siège mérite quelques détails. Les marais bordent les Apennins sur une longueur de 42 kilomètres environ ; ils s’appuient au nord sur les montagnes de la Sabine. Lentement formés au sein de la mer, au-dessus de laquelle leur niveau général s’élève à peine d’un mètre ou deux, ils doivent leur création aux matières terreuses, aux graviers charriés par les torrens qui descendent des Apennins, et aux sables rejetés par la mer. L’exhaussement de ces marais au-dessus des eaux provient aussi d’une autre cause : les végétaux vivaces croissent admirablement dans ce sol chaud, humide, riche en principes alcalins ; leur décomposition égale en rapidité leur croissance ; leurs détritus ont formé des couches épaisses de tourbe, qui, desséchées, sont souvent exposées en été à des combustions spontanées qui exercent de grands ravages. Ces terrains tourbeux sont d’une telle fécondité que partout l’homme les a occupés avec empressement, et même avec témérité. En Hollande, en Angleterre, comme en Italie, comme en Amérique, il s’est établi dans ces terrains insalubres, plongé dans la vase jusqu’à mi-jambe, privé de sources potables, noyé dans les eaux saumâtres ; mais ici se reconnaît la différence des industries humaines : tandis que les Hollandais sont parvenus, même avant la vapeur, avec la force variable et capricieuse du vent, à dessécher leurs étangs, partout inférieurs au niveau de la mer ; tandis que cet ennemi, dompté et transformé en un docile allié, transportait leurs navires vers leurs florissantes colonies, les Italiens, placés dans de bien meilleures conditions, mais inertes, apathiques, insoucians comme des enfans gâtés par la nature, n’ont jamais pu assainir décemment ni bonifier un sol partout élevé au-dessus des eaux.