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les aînés. Qu’ils la saisissent donc, qu’ils se fixent sur leurs terres, pour leur propre bien, pour celui de leurs domaines et de leurs colons; qu’ils abandonnent la ville, où ils n’ont ni rôle politique à remplir, ni affaires commerciales à diriger. Quelques princes romains s’occupent activement, il est vrai, de l’amélioration de leurs terres, mais ils ne le font peut-être pas suivant la méthode la plus rationnelle et la plus judicieuse. Dans les États-Romains, où l’écoulement des denrées par la consommation locale sera toujours très faible, où il ne faut pas compter sur l’aide et le travail des habitans, l’agriculture doit s’attacher à des produits recherchés au loin, facilement transportables et n’exigeant pas une main-d’œuvre active ou intelligente; elle doit produire de la laine et de la viande. La première surtout est d’un débit assuré, vu le prix élevé qui oblige les fabriques européennes à faire des achats en Australie. Les Anglais appliquent chez eux et dans leurs colonies cette agriculture pastorale, avec la différence que chez eux la viande est regardée comme le produit principal, tandis que toute l’importance est donnée à la laine dans leurs colonies, où, faute de population, la viande n’a que peu de valeur. C’est encore le mode d’agriculture qui convient naturellement à l’Algérie, où les colons s’efforcent d’acclimater les plantes industrielles, sans réfléchir que d’abord, dans un pays où la main-d’œuvre est rare et chère, cette coûteuse culture peut, avec des intempéries, devenir ruineuse; qu’en second lieu, faute de pouvoir se procurer des masses suffisantes d’engrais, ils finiront par épuiser la fertilité naturelle amassée dans un repos séculaire. Des faits analogues se sont déjà produits. La Caroline et la Géorgie abondent actuellement en plantations délaissées après un épuisement radical amené en moins d’un siècle par la culture continue du tabac et du coton. Les planteurs, désertant leurs fermes, se sont portés plus avant dans les forêts. Nos colons, il faut l’espérer, comprendront qu’avant tout il faut une culture améliorante et lucrative à la fois, qu’il peut être flatteur pour un pays de se suffire à lui-même, de produire toutes les matières premières dont il a besoin, mais à la condition que cette production ne se substituera pas à celles dont le rapport pourrait être plus élevé. Dans le cas contraire, le patriotisme devient aussi funeste qu’il est ridiculement déplacé.

C’est aussi ce que devraient comprendre les propriétaires romains, qui s’appliquent à tort à la fabrication du sucre, à la culture du tabac et des plantes industrielles; certes ils arriveront ainsi à récolter du sucre indigène, mais il leur coûtera 2 francs le kilo, tandis que le produit étranger leur est livré à 1 franc 50 centimes, et leur sucre sera de moins bonne qualité que celui de l’importation. Ils déviaient