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avoir abattu toutes ses forces physiques et morales[1]. Alors les inutiles retours vers le passé se changent en pitié profonde pour le présent. On se demande comment dans ce beau pays l’homme peut être si misérable. Si la faute première en est à l’inertie et à l’incurie des habitans, il faut tenir compte aussi de la négligence que le gouvernement romain apporte aux travaux publics. Cependant ce pays pourrait, avec quelques capitaux, avec des propriétaires plus soigneux, des cultivateurs plus laborieux, redevenir salubre et fertile.

Les propriétés constituent en général des bénéfices d’abbés, des majorats de princes, ou des domaines que les banquiers enrichis achètent pour en prendre le titre. Beaucoup de ces propriétés sont fort étendues, et comprennent des villages, de petites villes même; elles sont néanmoins divisées en lots et soumises à la petite culture. Les pacages sont loués à des pâtres nomades, les terres aux habitans des villages, les bois à cette fameuse corporation des charbonniers romains, qui de leurs forêts allumèrent le feu de plus d’une insurrection, et dont le nom était devenu sous la restauration le mot de ralliement des sociétés secrètes. Le produit de ces domaines est si chétif et trouve si peu d’écoulement, qu’il peut à peine fournir aux princes romains un revenu digne de leur rang. Les troupeaux, qui devraient être une source de richesses, deviennent improductifs dans un pays où il n’existe ni foires ni marchés. Le pâtre en est réduit à se nourrir de laitage, à se vêtir de la peau de ses chèvres. Du reste, les races d’animaux domestiques ne furent jamais améliorées, elles ont plutôt dégénéré. Dans ces conditions commerciales, avec l’épuisement de la terre et l’indolence des habitans, nul pays n’est plus contraire à la petite culture que le versant occidental des États-Romains. Je ne parle pas ici des légations de l’Adriatique, que je n’ai pas visitées, et que l’on dit industrieusement cultivées. Puisque la petite culture ne réussit pas, il faudrait y faire l’essai de la grande, car on ne peut en un jour changer la nature d’un terrain, ni modifier en une génération le caractère d’une population. Or, pour faire l’essai de la grande culture, en l’absence de fermiers riches, intelligens, pleins d’initiative, il faudrait que les propriétaires missent eux-mêmes la main à l’œuvre.

Il y avait jadis en France un vieux dicton sur la noblesse; tout gentilhomme, disait-on, ne peut faire que trois métiers : il ne peut être que soldat, évêque ou laboureur. On pourrait en dire autant des nobles italiens, et comme il faut laisser la gloire des armes aux Suisses, les bénéfices des évêchés aux cadets, reste la charrue pour

  1. Ces influences, connues sous le nom de mauvais air, mal’aria, sont si dangereuses en certains lieux, que pour les combattre et leur résister les fonctionnaires publics romains reçoivent un son de supplément par jour.