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Christian eût préféré rester, mais il voyait M. Goefle si animé qu’il craignit de le laisser à sa propre gouverne. — Tenez, dit-il, renonçons au déguisement. Comme il ne faut pas que l’on nous voie ensemble à visage découvert, masquons-nous tous deux. Vous serez Christian Waldo, puisque vous êtes le mieux vêtu de nous deux ; moi, qui ai déjà été pris ce soir pour mon valet, je vais continuer ce rôle, je serai Puffo.

— Voilà qui est très bien imaginé ! s’écria M. Goefle. À présent partons ! À propos ! laissons de la lumière à M. Nils ; s’il se réveillait, il aurait peur, et peut-être faim. Je vais lui mettre une cuisse de poularde sous le nez.

— Le petit Nils ? Il est donc là ?

— Mais oui, certainement. Mon premier soin, en rentrant, a été d’aller le chercher dans l’écurie, de le déshabiller et de le mettre au lit. Il aurait gelé cette nuit dans la litière, ce maudit enfant !

— A-t-il recouvré ses esprits ?

— Parfaitement, pour me dire que je le dérangeais beaucoup et pour grogner pendant que je le couchais.

— Eh bien ! et Puffo ? je ne l’ai pas retrouvé dans l’écurie en y ramenant mon âne ?

— Je ne l’ai pas vu non plus ; il doit être en train de se regriser avec Ulphilas. Allons, grand bien leur fasse ! Il va être minuit, partons ; vous m’aiderez bien à atteler mon cheval ? Oh ! le brave Loki ne restera pas en arrière, allez !

— Mais votre cheval et votre traîneau vous feront reconnaître ?

— Non, le traîneau n’a rien de particulier. Quant au cheval, il m’a été vendu dans ce pays-ci, l’année dernière précisément ; mais nous lui mettrons son capuchon de voyage.

Le but de la course proposée par le baron et confiée à la direction du major Larrson était le högar qui s’élevait à l’extrémité du lac, environ à une demi-lieue du Stollborg et du château neuf, lesquels, comme nous l’avons dit, étaient fort peu distans l’un de l’autre, l’un bâti sur un îlot rapproché du rivage, l’autre sur le rivage même. Les högar sont des tumulus attribués à la sépulture des anciens chefs Scandinaves. Ils sont généralement très escarpés et de forme cylindrique. Lorsqu’ils sont terminés par une plateforme, ils servaient, dit-on, à ces rois barbares pour rendre la justice. On les rencontre dans toute la Suède, où ils sont même beaucoup plus multipliés que chez nous.

Celui vers lequel la course se dirigeait présentait un coup d’œil fantastique. On l’avait couronné d’une triple rangée de torches de résine, et à travers la fumée de ce luminaire rougeâtre on voyait s’élever une gigantesque figure blanche : c’était une statue de neige, ouvrage informe et colossal que des paysans avaient façonné et