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Fais botter un courrier, et qu’on le voie. Donne à plusieurs reprises ordre et contre-ordre. Enfin que je passe pour très occupé, pour très bien portant par conséquent.

— Vous voulez donc faire crever de rage vos aimables héritiers ?

— Je veux les enterrer, Johan !

Amen, mon cher maître ! Vous accompagnerai-je jusqu’à la salle à manger ?

— Non, j’aime à entrer sans bruit et à surprendre mon monde, aujourd’hui plus que jamais.

Le baron sortit, et Johan rentra dans le cabinet où Massarelli, en proie à une vive inquiétude, trouvait le temps bien long. — Venez, mon garçon, lui dit Johan de son air le plus gracieux, c’est le moment de souper.

— Mais… ne reverrai-je pas M. le baron ce soir ? Il m’a dit de l’attendre ici.

— Il vous fait dire maintenant de souper tranquillement et d’attendre ses ordres. Croyez-vous qu’il n’ait rien à faire que de vous écouter ? Allons, venez donc ; avez-vous peur de moi ? Ai-je l’air d’un méchant homme ?

— Ma foi, oui, répondit Guido intérieurement en faisant glisser de sa manche un stylet qu’il maniait fort bien.

Johan vit son mouvement, et sortit précipitamment. Guido essaya de le suivre ; mais deux colosses qui étaient derrière la porte le saisirent et le conduisirent, le pistolet sur la gorge, à la prison du château, où, après l’avoir fouillé et désarmé, ils le laissèrent aux soins du gardien de la grosse tour, une espèce de spadassin aventurier, bélître de profession, comme on disait alors, à qui l’on donnait dans le château le titre de capitaine, mais qui ne paraissait jamais dans les salons.

Johan l’avait suivi, et il assista d’un air bénin à la visite qui fut faite de ses poches et de toutes les pièces de son vêtement. S’étant assuré qu’il ne s’y trouvait aucun papier, il se retira, en lui disant :

— Bonsoir, mon petit ami. Ne faites pas le méchant une autre fois !

— Et il ajouta en lui-même : — Il disait avoir les preuves d’un gros secret. Ou il a menti comme un imbécile, ou il s’est méfié en homme qui connaît les affaires, mais il ne s’est pas méfié assez. Tant pis pour lui ! Un peu de cachot fera arriver les aveux ou les preuves.

Cependant le baron, quoique très souffrant, entra sans bruit dans la salle du festin, mangea un peu d’un air de bon appétit, et fut aussi gai qu’il lui était possible de l’être, c’est-à-dire qu’il énonça en souriant d’un sourire glacial quelques propositions d’un athéisme effrayant, et lança quelques propos odieusement cruels sur le compte de quelques personnes absentes. Quand il calomniait, l’aimable homme parlait à demi-voix, d’un air de nonchalance. Ses héritiers