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tainement pas, et, pour les en dégoûter, j’en veux appeler à votre témoignage.

En parlant ainsi, Christian, qui avait eu soin de ne laisser qu’une bougie allumée dans l’appartement, releva son masque de soie noire et montra précipitamment, et comme avec une sorte de désespoir, au majordome un second masque de toile enduit de cire, si parfaitement exécuté qu’à moins d’une grande clarté et d’un examen minutieux, il était impossible de ne pas le prendre pour une figure humaine, camuse, blême et horriblement maculée par une tache énorme couleur de vin. Johan, malgré son esprit soupçonneux, y fut pris et ne put retenir une exclamation de dégoût. — Pardon, pardon, mon cher ami, dit-il en se reprenant, vous êtes à plaindre, et pourtant votre talent et votre esprit sont des avantages que je vous envie !…

Le majordome était lui-même si laid, que Christian eut envie de rire de ce qu’il semblait se supposer beaucoup plus beau que ce masque.

— À présent, reprit-il après avoir rabaissé le masque noir, dites-moi tout bonnement pourquoi vous étiez si curieux de savoir à quel point je suis laid.

— Mon Dieu, reprit Johan après un moment d’hésitation en jouant le bonhomme, je vais vous le dire… Et même si vous voulez m’aider à découvrir un secret, une puérilité, qui intrigue ici plus d’une personne, vous acquerrez des droits à la reconnaissance,… vous m’entendez bien, à la munificence du maître de céans : il s’agit d’une plaisanterie, d’un pari…

— Je ne demande pas mieux, répondit Christian, curieux d’entendre la confidence qu’il pressentait déjà ; de quoi s’agit-il ?

— Vous êtes descendu au Stollborg ?

— Oui ; vous avez refusé de m’admettre ici.

— Vous avez dormi… dans la chambre de l’ourse ?

— Parfaitement.

— Parfaitement, n’est-ce pas ? Le prétendu fantôme…

— Ce n’est pas sur le compte du fantôme que vous voulez m’interroger ? Vous n’y croyez pas plus que moi ?

— Comme vous dites ; mais il est un autre fantôme qui a fait apparition hier dans le bal, et que personne ne connaît. Vous devez l’avoir vu au Stollborg ?

— Non ; je n’ai vu aucun fantôme.

— Quand je dis un fantôme,… vous avez vu là un avocat qui s’appelle M. Goefle, un homme de grand mérite ?

— Oui, j’ai eu l’honneur de lui parler ce matin. Il occupe la chambre à deux lits.

— Ainsi que son neveu ?

— Je ne lui ai pas vu de neveu.