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— Oh ! oh ! voilà une étrange rencontre ! s’écria M. Goefle. Fâcheuse pour vous peut-être ! Il vous en veut, n’est-ce pas ? Et si vous l’avez traité comme il le mérite, il vous fera ici tout le mal possible.

— Quel mal peut-il me faire ? Il est si lâche ! Je l’ai fait mettre à genoux.

— En ce cas,… je ne sais ce qu’il fera, je ne sais quel secret il a surpris…

— Un secret par rapport à moi ?

— Non, dit M. Goefle, qui allait parler, et qui se rappela la résolution prise par lui de ne rien dire relativement à Stenson ; mais enfin vous cachez Cristiano Goffredi sous le masque de Christian Waldo, et il vous trahira…

— Que m’importe ? Je n’ai pas souillé le nom de Goffredi. Un jour viendra, je l’espère, où mes singulières aventures prouveront en ma faveur. Voyons ! qu’ai-je à craindre de l’opinion, moi ? Suis-je un paresseux et un débauché ? Je me moque de tous les Massarelli du monde. Ne me suis-je pas fait déjà, en Suède et ailleurs, sous mon masque de bouffon, une réputation chevaleresque ? On me prête plus de belles actions que je n’ai eu occasion d’en faire, et je suis un personnage de légende. N’étais-je pas cette nuit le prince royal de Suède ? Si ma renommée devient par trop fantastique, n’ai-je pas le changement de nom toujours à mon service le jour où j’aurai enfin l’occasion de vivre en homme sérieux ? L’important ici, et je dis cela uniquement à cause de vous, monsieur Goefle, c’est que l’homme du bal de cette nuit, votre prétendu neveu, ne soit pas reconnu sous le masque de Waldo. Or Massarelli n’était pas ici la nuit dernière, j’en suis certain, et il ne sait rien de mon aventure. Il s’en fût vanté à moi. Dans tous les cas d’ailleurs, vous n’aurez qu’à répéter et affirmer encore la vérité, à savoir que vous n’avez jamais eu ni neveu ni fils naturel, et que vous n’êtes en aucune façon responsable des tours que le farceur Christian Waldo s’amuse à jouer dans le monde.

— Quant à moi, après tout, je m’en moque ! reprit M. Goefle en se débarrassant de sa perruque et en couvrant sa nuque d’un léger bonnet noir que lui présentait Christian. Me croyez-vous si poltron que je me soucie du croquemitaine de ce château ? Tenez, Christian, je vais débuter comme montreur de marionnettes, operante, ainsi que vous dites. Eh bien ! si jamais on vous reproche d’avoir fait le saltimbanque pour vivre au profit de la science, vous pourrez dire : J’ai connu un homme qui exerçait avec honneur une profession grave… et qui m’a servi de compère pour son plaisir.