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d’éclairer les coulisses du théâtre portatif pour donner aux différens plans de la petite scène la profondeur fictive qui devait les faire valoir.

Christian faisait toutes choses avec un grand soin. Il aimait son petit théâtre en artiste minutieux, et il l’avait établi dans des conditions ingénieuses, qui en faisaient la miniature d’un théâtre sérieux. Il eût réussi dans la peinture d’intérieur et de paysage, si l’amour des sciences ne l’eût forcé de s’arrêter aux arts de pur agrément ; mais, comme il était remarquablement doué, il n’entreprenait guère de travaux frivoles auxquels il ne sût donner un résultat gracieux et empreint de sa propre originalité. Sa petite scène était donc d’une charmante fraîcheur, et produisait toujours un effet agréable aux yeux. Il y mettait de la coquetterie, surtout quand il avait affaire à un public intelligent, et si parfois il s’impatientait d’avoir à donner du temps à ces minuties, il s’en consolait en se rappelant l’axiome favori de Goffredi : « Qu’il faut faire le mieux possible tout ce que l’on se donne la peine de faire, s’agît-il de tailler des cure-dents. »

Christian était donc absorbé par ses préparatifs. Après avoir jeté un coup d’œil de précaution dans la galerie déserte, il plaça provisoirement son châssis dans l’embrasure avec toute sa décoration et son éclairage, et, passant dans la partie destinée au public, il s’assit à la meilleure place, afin de juger l’effet de sa perspective et d’y conformer les entrées et les mouvemens de ses personnages.

C’était un repos de deux ou trois minutes dont il avait d’ailleurs besoin. Un peu endurci aux rigueurs de tous les climats, il se fatiguait vite d’agir dans l’atmosphère étouffante des intérieurs du Nord. Il avait à peine dormi quelques heures sur un fauteuil la nuit précédente, et, soit les émotions de la journée, soit la course qu’il venait de faire sur la glace avec un professeur de géologie sur les épaules, il fut surpris par un de ces vertiges de sommeil instantané qui vous font passer de la réalité au rêve sans transition appréciable. Il lui sembla qu’il était dans un jardin par une chaude journée d’été, et qu’il entendait crier le sable sous un pied furtif. Quelqu’un approchait de lui avec précaution, et ce quelqu’un, qu’il ne voyait pas, il avait la certitude intuitive que c’était Marguerite. Aussi son réveil se fit-il sans tressaillement lorsqu’il sentit comme un souffle effleurer sa chevelure ; mais, bientôt revenu à lui-même, il se leva brusquement en portant la main à son visage et en s’apercevant que son masque était tombé à ses pieds. Comme il se baissait pour le ramasser sans se détourner vers la personne qui l’avait réveillé, il tressaillit tout de bon en entendant une voix d’homme bien connue lui dire : — Il est fort inutile de te cacher le visage, Christian Waldo ; je t’ai reconnu, tu es Cristiano Goffredi !