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petite pièce de monnaie de la valeur de deux sous, persuadé que c’était royalement payer un être qui avait eu le bonheur de lui rendre service.

IX.

Christian le laissa se diriger vers la grande entrée du château et chercha la petite porte, celle qui, dans tous les manoirs seigneuriaux, conduit aux cours et bâtimens de service. S’étant masqué, il appela un domestique qui l’aida à déballer ; puis il s’enquit d’un gîte pour son âne, et monta un escalier dérobé qui conduisait chez M. Johan, le majordome du château neuf. Celui-ci n’attendit pas qu’il se nommât. — Ah ! ah ! l’homme au masque noir ! s’écria-t-il d’un ton paternel et protecteur. Vous êtes le fameux Christian Waldo ! Venez, venez, je vais vous installer, mon cher ; vous ferez vos préparatifs tranquillement. Vous avez encore une heure devant vous.

On aida Christian à porter son bagage dans la pièce qui devait lui servir de foyer, et dont on lui remit les clés sur sa demande. Là il s’enferma seul, ôta son masque pour se mettre à l’aise, et commença à monter son théâtre, non sans se frotter les épaules : M. Stangstadius n’était pas lourd, mais son corps déformé était si singulièrement anguleux, qu’il semblait à Christian avoir porté un fagot de bûches tortues.

Le local où il se trouvait était un petit salon dont une porte donnait sur un couloir correspondant à l’escalier dérobé. L’autre porte s’ouvrait au bout de la grande et riche galerie, dite des chasses, où Christian avait dansé la veille avec Marguerite. C’est devant cette porte que le théâtre devait être placé pour être vu des spectateurs, placés eux-mêmes dans la galerie. Christian, ayant mesuré l’ouverture de cette porte à deux battans, vit que son théâtre tout monté y passerait, et qu’il n’y avait qu’à l’y poser pour se trouver complètement isolé du public et chez soi dans le petit salon. C’était une excellente combinaison pour assurer la liberté de ses mouvemens et l’incognito de M. Goefle autant que le sien propre.

D’après le nombre de fauteuils et de chaises disposés en face du théâtre, Christian jugea, sans compter, que le public devait se composer d’une centaine de personnes commodément assises, les dames probablement, et d’une centaine de cavaliers plus ou moins debout derrière elles. La galerie, profonde et médiocrement large, était un local plus favorable qu’aucun de ceux où Christian avait opéré. La voûte, peinte à fresque, avait une sonorité exquise. Les lustres, déjà allumés, jetaient une vive lumière, et il n’était nécessaire que