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— J’en suis aussi sûr que possible, et pourtant… Tenez, vous m’avez rendu tout à fait visionnaire avec votre voix mystérieuse, votre idée d’une prisonnière dans les souterrains, votre explication de ma propre vision de cette nuit et vos paroles de la Bible !

— Comme il n’y a très probablement dans tout cela qu’un amusement de nos imaginations, nous ne risquons d’offenser personne, et d’ailleurs, monsieur Goefle, quand même, sous le masque et le pseudonyme de Christian Waldo, je réveillerais quelque maussade souvenir dans l’esprit de M. le baron, que m’importe, je vous le demande ? Quant à vous, qui serez parfaitement incognito à mes côtés…

— Quant à moi, qui serai épié et signalé au baron, pour peu qu’il le commande à ses méchans laquais…

— Si vous courez vraiment quelque risque, n’en parlons plus, et cherchons vite un autre sujet de comédie.

M. Goefle demeura absorbé quelques instans, à la grande impatience de Christian, qui ne voyait pas sans inquiétude marcher l’aiguille de la pendule. Enfin l’avocat, se frappant le front et se levant avec une vivacité nerveuse, s’écria en se mettant à marcher par la chambre :

— Eh bien ! qui sait si ce n’est pas reculer devant la recherche de la vérité ? Serai-je donc un courtisan poltron de ce personnage problématique ? N’en aurai-je pas le cœur net une bonne fois ? Sera-t-il dit qu’un aventurier, c’est-à-dire un beau et bon enfant du hasard, digne à coup sûr d’un meilleur sort, trouvera, dans son insouciance, le courage de braver un puissant ennemi, tandis que moi, serviteur officiel de la vérité, défenseur attitré de la justice humaine et divine, je m’endormirai dans une paresse égoïste voisine de la lâcheté ? — Christian ! ajouta M. Goefle en se rasseyant, mais toujours très exalté, passons au deuxième acte, et faisons une pièce terrible ! Que vos marionnettes s’illustrent aujourd’hui ! Qu’elles deviennent des personnages sérieux, de vivantes images, des instrumens de la destinée ! Que, comme dans la tragédie d’Hamlet, ces acteurs représentent un drame qui fasse frémir et pâlir le crime triomphant, à la fin démasqué ! Voyons, Christian, à l’œuvre ! Supposons… tout ce que l’on suppose dans ce pays-ci sur le compte du baron : qu’il a empoisonné son père, assassiné son frère, fait mourir de faim sa belle-sœur…

— Oh ! justement dans cette chambre !… dit Christian, qui rêvait un décor de troisième acte… Voyez quelle belle scène à faire ! Je suppose que l’enfant… Puisque nous supposons un enfant, supposons que le fils de la duchesse revienne au bout de vingt-cinq ans pour rechercher la vérité et punir le crime ! Voyez-vous nos ma-