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« La raison d’état, cria M. Goefle en fausset, car sa voix ne se prêtait pas à un diapason très élevé ; la raison d’état, c’est à nos yeux… »

— Plus haut !

— Que le diable vous emporte !… je m’y casserai le pharynx ! Merci, j’en ai assez, s’il faut hurler de la sorte.

— Eh non ! monsieur Goefle ! je ne vous dis pas de parler plus haut ; depuis une heure, je vous élève le bras, et vous ne voulez pas comprendre que, si vous tenez ainsi la marionnette au niveau de votre poitrine, personne ne la verra, et que vous jouerez pour vous seul ! Regardez-moi : il faut que votre main dépasse votre tête. Allons, à nous deux, un dialogue ! Je suis l’avocat de la partie adverse, et je vous interromps, en proie à une indignation qui ne se contient plus. « Je ne puis en écouter davantage, et puisque les juges endormis sur leurs siéges supportent un pareil abus de la parole humaine, en dépit de l’éloquence spécieuse de mon illustre et redoutable adversaire, je… » Interrompez-moi donc, monsieur Goefle ! il faut toujours interrompre !

« — Avocat, s’écria M. Goefle, vous n’avez pas la parole. » Je fais le juge.

— Très bien ! mais alors changez de voix.

— Je ne saurais…

— Si fait ! Vous avez une main libre, pincez-vous le nez.

— Fort bien, dit M. Goefle en nasillant… « Avocat de la partie adverse, vous parlerez à votre tour… »

— Bravo ! « Je veux parler tout de suite ! je veux confondre les odieux sophismes de mon adversaire !… »

— « Odieux sophismes ! »

— Très bien, oh ! très bien ; le ton courroucé !… Je réplique : « Orateur sans principes, je te traduirai au ban de l’opinion publique !… » Donnez-moi un soufflet, monsieur Goefle.

— Comment ! que je vous donne un soufflet ?

— Eh oui ! sur la joue de mon avocat, et que cela fasse du bruit surtout ; le public rit toujours à ce bruit-là. Tenez bien vos doigts, je vais vous arracher votre bonnet. Voyons, colletons-nous. Bravo ! faites sortir la marionnette de mes doigts avec les vôtres, et lancez-la dans le public. Les enfans courent après, la ramassent, la regardent avec admiration, et la relancent dans le théâtre. Prenez garde de la recevoir sur la tête ! On rit à se tenir les côtes dans le public, Dieu sait pourquoi, mais c’est toujours ainsi. Les injures et les coups sont un spectacle délicieux pour la foule ; pendant cette hilarité, votre personnage quitte la scène d’un air triomphant.

— Et nous respirons un peu, à la bonne heure ! J’en ai besoin, je suis égosillé !