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détestable et des fautes nombreuses. L’autre voix, accentuée et parlant l’italien pur dans un registre clair et avec une prononciation très vibrante, paraissait se faire entendre en dépit de la surdité du vieillard. M. Goefle s’étonna que le vieux Stenson entendît l’italien et pût s’exprimer, tant bien que mal, dans une langue qu’il ne le soupçonnait pas d’avoir jamais pratiquée. La conversation avait lieu dans le cabinet de travail de Sten, attenant à sa chambre. La porte de l’escalier était fermée ; mais, en montant quelques marches, M. Goefle entendit un fragment de dialogue qui pourrait se résumer et se traduire ainsi :

— Non, disait Stenson, vous vous trompez. Le baron n’a aucun intérêt à faire cette découverte.

— C’est possible, monsieur l’intendant, répondait l’inconnu ; mais il ne me coûte rien de m’en assurer.

— Alors c’est au plus offrant, n’est-ce pas, que vous vendrez le secret ?

— Peut-être. Que m’offrez-vous ?

— Rien ! Je suis pauvre, parce que j’ai toujours été honnête et désintéressé : rien de ce qui est ici ne m’appartient. Je n’ai que ma vie, prenez-la, si bon vous semble.

À cette parole, qui semblait mettre le vieux Sten à la merci de quelque bandit, M. Goefle monta deux marches d’une seule enjambée pour aller à son secours ; mais la voix italienne reprit avec le plus grand calme :

— Que voulez-vous que j’en fasse, monsieur Stenson ? Voyons, rassurez-vous, vous pouvez sortir de ce mauvais pas en cherchant vos vieux écus dans la vieille cachette qu’ont toutes les vieilles gens. Vous trouviez bien moyen de payer Manassé pour vous assurer de sa discrétion.

— Manassé était honnête. Ce traitement…

— N’était pas pour lui, je le présume ; mais il en jugeait autrement, car il l’a toujours gardé pour lui seul.

— Vous le calomniez !

— Quoi qu’il en soit, Manassé est mort, et l’autre

— L’autre est mort aussi, je le sais.

— Vous le savez ? D’où le savez-vous ?

— Je n’ai pas à m’expliquer là-dessus. Il n’est plus, j’en ai la certitude, et vous pouvez dire au baron tout ce que vous voudrez. Je ne vous crains pas. Adieu ; je n’ai pas longtemps à vivre, laissez-moi penser à mon salut, c’est désormais la seule chose qui me préoccupe. Adieu ; laissez-moi, vous dis-je, je n’ai pas d’argent.

— C’est votre dernier mot ?… Vous savez que dans une heure je serai au service du baron ?