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faites-moi le plaisir de le prendre par une oreille et de me le ramener. Voulez-vous ?

Christian promit de le ramener mort ou vif, mais il n’alla pas bien loin pour retrouver son valet et celui de M. Goefle. En pénétrant dans l’écurie, où l’idée lui vint de regarder avant de sortir du préau, il trouva Puffo et Nils ronflant côte à côte, et aussi complètement ivres l’un que l’autre. Ulphilas, qui portait mieux le vin, allait et venait dans les cours, assez content de n’être pas seul à l’entrée de la nuit, et donnant de temps en temps un coup d’œil fraternel à ses deux camarades de bombance. Christian comprit vite la situation. Nils, qui entendait le suédois et le dalécarlien, avait dû servir d’interprète entre les deux ivrognes ; leur amitié naissante s’était cimentée dans la cave. Le pauvre petit laquais n’avait pas eu besoin d’une longue épreuve pour perdre le souvenir de son maître, si tant est que ce souvenir l’eût beaucoup tourmenté jusqu’au moment où, chaudement étendu dans la mousse sèche qui sert de litière dans le pays, les joues animées et le nez en feu, il avait oublié, aussi bien que Puffo, tous les soucis de ce bas monde.

— Allons, dit M. Goefle à Christian, qu’il rencontra dans la cour et qui lui montra ce touchant spectacle, du moment que le drôle n’est pas malade, j’aime autant être débarrassé de mon service auprès de lui.

— Mais moi, monsieur Goefle, reprit Christian fort soucieux, je ne puis me passer de cet animal de Puffo. Je l’ai secoué en vain ; c’est un mort, et, je le connais, il en a pour dix ou douze heures !

— Bah ! bah ! répondit M. Goefle, évidemment préoccupé, allez donc choisir votre pièce, et ne vous tourmentez pas ; un garçon d’esprit comme vous n’est jamais embarrassé.

Et, laissant Christian se tirer d’affaire comme il pourrait, il marcha, de son petit pas bref et direct, jusqu’au pavillon du gaard, habité par Stenson. Évidemment les trois versets de la Bible lui trottaient par la tête.

Ce pavillon avait un rez-de-chaussée, sorte d’antichambre, où Ulphilas, pour n’être pas seul, dormait plus volontiers que dans son logement particulier, sous prétexte d’être à portée de servir son oncle, dont le grand âge réclamait sa surveillance. Ulf venait de rentrer dans cette pièce ; il s’était jeté sur son lit et ronflait déjà. M. Goefle allait monter au premier, lorsque le bruit d’une discussion l’arrêta. Deux voix distinctes dialoguaient d’une façon très animée en italien. L’une de ces voix avait le diapason élevé des gens qui ne s’entendent pas bien eux-mêmes ; c’était celle de Stenson. Elle s’exprimait en italien avec assez de facilité, bien qu’avec un accent