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géographiques indiquées dans le texte, à discuter toutes les questions qui touchent à l’histoire des populations arméniennes, alors disséminées dans la Grande-Arménie, la Mésopotamie et la Cilicie, et à celle pareillement des nations avec lesquelles elles furent en rapports de guerre, d’alliance ou de sujétion, et principalement des Franks de la Syrie.

Une entreprise aussi considérable que la publication du corps entier des historiens arméniens n’a point effrayé M. Dulaurier ; mais je crains que son zèle ne lui ait fait illusion sur le poids du fardeau dont il s’est chargé. Que de soins et de peines pour la recherche seulement des matériaux à mettre en œuvre ! La plupart de ces historiens sont encore inédits, et les bibliothèques de l’Europe n’en renferment qu’un très petit nombre ; il faut se les procurer en Orient, souvent à grands frais, et lorsqu’un possesseur jaloux refuse de s’en dessaisir, se résigner à la tâche longue et ingrate de les copier soi-même. Cependant, quelle que soit la longueur de la course que fournira M. Dulaurier dans la carrière où il s’est engagé, la reconnaissance du monde savant lui sera due pour l’initiative qu’il a prise dans des études fécondes et négligées avant lui, et que l’avenir doit développer et agrandir. Nous ajouterons que, pour tirer parti de ces documens, les premières notions à acquérir sont celles du système chronologique d’après lequel les dates y sont énoncées et de la manière dont elles concordent avec notre calcul usuel des années de Jésus-Christ. Le calendrier arménien, qui est très certainement celui de l’antique Orient, antérieur à toutes les corrections qu’il a reçues depuis, est fondé sur l’année solaire vague de trois cent soixante-cinq jours, sans fraction. Par conséquent il anticipe d’un jour tous les quatre ans sur le calendrier julien, et tout l’ensemble de sa corrélation change de cette même quantité par une évolution qui parcourt une période de 1461 années vagues = 1460 années juliennes. Le point initial de cette grande période n’ayant jamais été déterminé avec une suffisante précision, il était impossible de calculer exactement les dates arméniennes qui s’offrent à chaque pas, et qui sont indiquées ordinairement avec un très grand soin. Outre ce mode de supputation, les Arméniens se sont servis d’une foule d’autres méthodes, empruntées aux calendriers des autres nations ou au comput ecclésiastique. Enfin, leurs annales étant souvent en connexion avec celles de l’empire byzantin et des nations slaves, l’étude de la chronologie d’après laquelle elles sont réglées ne saurait être séparée de celle qui a guidé les chronographes grecs et slavons. Un volume destiné à traiter ces divers points de la science des temps peut être considéré comme le préambule obligé- de la collection que M. Dulaurier s’est donné la mission de mettre en lumière. Il nous annonce dans la préface du volume aujourd’hui publié que ce second ouvrage ne tardera pas à sortir des presses de l’Imprimerie impériale. Ce sera un précieux secours pour donner à l’histoire d’une partie considérable de l’Orient, dans l’antiquité et au moyen âge, une précision et une certitude qu’elle n’a point eues jusqu’à présent, et pour la rattacher plus étroitement à l’histoire générale, lorsque la littérature arménienne aura fourni cette masse de documens nouveaux qu’elle possède, et dont la Chronique de Matthieu d’Édesse peut déjà faire sentir l’importance et l’intérêt.


A. DE WICKERING.


V. DE MARS.