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vapeur avait eu l’idée d’organiser un voyage de plaisir à Cherbourg. Les excursionnistes devaient passer vingt-quatre heures, un dimanche entier, dans ce grand port militaire, qui excite en ce moment l’inquiète curiosité de nos voisins. La compagnie avait annoncé dans ses affiches que les passeports n’étaient point nécessaires, et qu’elle s’en était entendue avec les autorités locales. Les amateurs ne manquèrent pas. Un petit nombre d’avisés se munirent de passeports ; la plupart des voyageurs, une soixantaine, crurent aux assurances de la compagnie. On arrive à Cherbourg ; les passeports sont demandés, et l’on ne permet de descendre qu’aux cinq ou six personnes qui sont en règle. Les autres parlementent en vain, pendant plusieurs heures, avec les autorités françaises, qui, avec beaucoup de courtois regrets, sont obligées d’obéir à leur consigne et d’interdire le débarquement. On juge de la déception de ces pauvres voyageurs de plaisir. On attendit la marée, et l’on repartit pour la côte anglaise. Si les excursionnistes furent vexés, il nous semble que les hôtels, les restaurans et les boutiquiers de Cherbourg ne durent pas voir avec plaisir s’éloigner cette troupe de consommateurs, qui, après s’être montrée à eux, leur échappait si malencontreusement. Désormais ces désagréables accidens seront impossibles. M. Delangle a rétabli les anciennes facilités d’admission dont les Anglais jouissaient sur notre littoral. Le bon cockney et le snob important pourront accomplir leur trip sur la côte de France, et l’estimable boutiquier français, croyons-nous, ne s’en plaindra pas.

Mais Cherbourg attend des hôtes plus illustres. Avant l’inauguration du grand bassin, la reine d’Angleterre y rendra visite à l’empereur des Français. Nous ne pouvons voir dans cette nouvelle rencontre des deux chefs d’empire que le symbole de la persévérante alliance des deux peuples. Après les méprises et les démarches malencontreuses qui ont mis cette alliance en péril il y a plusieurs mois, le voyage de la reine Victoria à Cherbourg est un acte d’une grande importance, qui, nous l’espérons, fera tomber bien des préjugés et calmera bien des craintes. Nous nous associerons toujours, pour notre part, à des témoignages de cette nature, car l’alliance de la France et de l’Angleterre est un des principes et, nous avons le droit de le dire, une des traditions du libéralisme français. Il n’a pas dépendu heureusement de cette presse ignorante et vulgaire à laquelle nous faisions allusion tout à l’heure que l’alliance ne succombât sous les passions rétrogrades que cette presse s’efforçait de réveiller contre elle. On ne discute point avec de pareils politiques ; mais s’il est encore des esprits sérieux qui mettent en doute la nécessité de cette alliance libérale, comment pourraient-ils plus longtemps résister aux enseignemens péremptoires qu’apportent en sa faveur les événemens de chaque jour ? Les questions les plus anciennes et les plus débattues de la diplomatie européenne, les questions les plus soudaines et les moins prévues qui s’élèvent sur tous les points du monde ne peuvent être résolues d’une manière efficace et satisfaisante que par l’accord de la France et de l’Angleterre.

Le crime horrible que le fanatisme musulman vient de commettre à Djeddah n’est-il pas un de ces avertissemens qui rappellent aux deux peuples que leurs devoirs envers la civilisation leur prescrivent une étroite alliance ?